mardi 19 mars 2013

Tout le monde connaît Cortés et Pizarro, mais qui connaît Jimenez de Quesada ?


Dire que tout monde connaît Hernan Cortés et Francisco Pizarro est peut-être une exagération, mais je me plais quand même à croire que la majorité des personnes qui ont une connaissance minimale de l’histoire de l’humanité sont capables reconnaître le nom du conquérant des Aztèques au Mexique et celui du conquérant des Incas au Pérou. Ces deux personnages n’ont peut-être pas la notoriété d’un Christophe Colomb, mais ils ne doivent pas être très loin derrière lui. Mais qu’en est-il de Rodrigo Jimenez de Quesada, le chef de l’expédition espagnole qui s’empara du territoire habité par les Muiscas en Colombie, une civilisation qui avait atteint un degré de développement presque aussi avancé que celui des Aztèques et des Incas ? 

Cette carte (1) montre le territoire occupé par les Muiscas sur les hauts plateaux situés en amont du fleuve Magdalena, là où les Espagnols ont fondé la ville de Santa Fe qui va plus tard devenir Bogota, la capitale de l’actuelle Colombie. (Cliquez sur la carte pour la grossir)





Habiles agriculteurs, commerçants, tisserands et orfèvres, les Muiscas n’étaient pas un peuple guerrier et n’offrirent aucune résistance devant l’envahisseur. Pas un seul  Espagnol n’est mort au combat pendant la conquête de leur territoire, de sorte qu’aucun récit d’héroïques faits d’armes n’en est ressorti même si seulement environ 170 des 600 hommes qui composaient l’expédition à son départ de Santa Marta, en avril 1536, étaient encore vivants lorsqu’ils sont arrivés au pays des Muiscas en mars 1537. Les autres étaient morts de faim, d’épuisement, de maladies, de noyades, dévorés par les caïmans ou tués lors de sporadiques combats contre les peuplades qui habitaient les rives du fleuve Magdalena. Le plus grand mérite de Jimenez de Quesada en tant que chef de cette expédition a probablement été de ne pas avoir été assassiné par ses propres hommes au cours du calvaire qu’ils ont dû endurer lors de ce parcours de 1000 kilomètres qu’ils ont entrepris afin de trouver un chemin vers le Pérou, car tel était leur objectif : rejoindre ce pays récemment conquis par Francisco Pizarro. Ils voulaient eux aussi s’enrichir. Heureusement pour eux, ils ne s’y rendirent pas, car ils n’auraient sans doute pas survécus aux périls qui les attendaient plus en amont. Stoppés dans leur marche par une crue des eaux, ils ont bifurqué de leur itinéraire qui suivait le fleuve pour emprunter des sentiers qui les ont amenés à gravir la Cordillère Orientale où ils ont découvert, à 2,700 mètres d’altitude, un plateau de 30,000 kilomètres carrés de fertiles terres densément peuplées par les Muiscas. Ils vont y récolter le second plus riche butin de toutes les conquêtes faites par les Espagnols en Amérique, après celui du Pérou. Beaucoup plus que ce que la majorité des soldats de Cortés reçurent après la conquête du Mexique. Désireux de bien assurer leur mainmise sur ce territoire, qu’ils appelèrent Nouvelle-Grenade, les membres de l’expédition l’exploreront pendant deux ans sans jamais tenter de donner des signes de vie à leur base de départ.  

En prenant assez tardivement connaissance de cette histoire, je me suis demandé comment il se faisait que je n’en avais jamais entendu parler auparavant et pourquoi le nom de Jimenez de Quesada m’était absolument inconnu.

Ainsi, ce premier matin à Bogota, le 29 janvier 2013, alors que je m’apprêtais à partir seul visiter le quartier de la Candelaria, le quartier historique de la ville, je n’ai pu dire le nom de Jimenez de Quesada au complet lorsqu’on m’a demandé si je savais par coeur l’adresse de l’hôtel où nous logions. Tout ce que je me rappelais c’était que nous étions au coin de la Carrera 5 et de l’Avenida Quesada. Mais ce n’était pas suffisant, paraît-il, parce que les gens ne me comprendraient pas si je ne disais que Quesada, car, usuellement, les gens l’appellent plutôt l’Avenida Jimenez. J’ai dû avouer que je ne me rappelais pas ce qui venait avant ce Quesada, un nom que j’avais pourtant rencontré à quelques reprises au cours des lectures que j’avais récemment faites pour connaître un peu plus l’histoire de ce pays avant de le visiter.

En constatant mon ignorance presque absolue d’un personnage aussi important dans l’histoire de la conquête des Amériques, je me suis mis à penser que si moi, une personne qui a toujours eu un grand intérêt pour l’Histoire, je ne le connaissais pas, que pouvait-il en être des autres québécois ?  

Ma première démarche pour essayer de répondre à cette question a été d’aller vérifier si je pouvais trouver un livre sur lui dans le réseau des bibliothèques publiques de la ville de Montréal. Je n’y ai rien trouvé. Absolument rien ! Rien non plus chez Renaud-Bray.

À la bibliothèque nationale du Québec, un seul titre est sorti quand j’ai inscrit «Jimenez de Quesada» dans l’outil de recherche de son catalogue : Le chevalier de l’Eldorado de German Arciniega, la traduction française d’un livre publié pour la première fois en Colombie en 1939. Il ne doit pas être très en demande, car j’ai dû attendre une semaine après l’avoir demandé, car ils ont dû le faire venir d’une réserve située à l’extérieur de la bibliothèque. De plus, ce n’est pas à proprement parler une biographie ou un livre d’Histoire. Il s’agit plutôt d’un essai littéraire sur un fond historique, car l’auteur y propose l’hypothèse que Jimenez de Quesada aurait servi de modèle pour le Don Quichotte de Cervantès. Le livre d'Arciniega semble avoir eu une assez bonne réputation, car en plus de l’exemplaire en français que j’ai trouvé à la Bibliothèque Nationale, il y en un exemplaire dans sa version anglaise à l’Université McGill et à l’Université Concordia et un autre en espagnol à l’Université de Montréal et à l’Université Laval. 

Le chevalier de l’El Dorado est le seul livre en français entièrement consacré à Jimenez de Quesada que l’on peut trouver à Montréal. Par contre, j’ai trouvé à la bibliothèque de l’Université du Québec à Montréal un ouvrage en français qui traite de «l’économie coloniale et travail indigène dans la Colombie du XVIe siècle». Il s’agit d’un travail intitulé L’envers de l’Eldorado réalisé par Thomas Gomez. On peut y trouver dans sa première partie un récit qui raconte la conquête du pays muisca par l’expédition commandée par Jimenez, mais l’intérêt de l’ouvrage réside plus dans sa description du contexte socio-économique de la nouvelle colonie ainsi que de ce qu’il adviendra des populations indigènes après leur conquête. On sait que les «indiens» ne représentent plus que 3.4 % de la population de l’actuelle Colombie, ce qui démontre l’ampleur du désastre démographique qui y fut à l’oeuvre.

C’est un peu mieux en anglais. En effet, on peut trouver The Conquest of New Grenada (qui date de 1922), de Robert Graham, à l’Université Concordia, l’Université McGill et à l’UQAM, ainsi que sur les rayons de la librairie Chapter-Indigo. De plus, il est disponible sur Amazon. Il y a aussi Invading Colombia, de J. Michael Francis, dont on peut trouver un exemplaire à la bibliothèque de l’Université du Québec à Montréal et à l’Université McGill, de même que sur Amazon. 

Si vous lisez l’espagnol, vous pouvez également trouver un livre intitulé Ximenez de Quesada en sus relaciones con los cronistas, de Demetrio Ramos Pérez, à la bibliothèque de l’Université de Montréal et à celle de l’Université McGill. Il y a aussi L’Epitome de la Conquista del Nuevo Reino de Granada qui est disponible à l’Université de Montréal.

Cette absence quasi totale de documentation en français, qui n’est d’ailleurs guère mieux en anglais est étrange alors que les biographies plus ou moins romancées de la vie de Cortés ou de Pizarro pullulent. Je n’ai eu que l’embarras du choix lorsque j’ai voulu me renseigner sur ces deux hommes.

Bien sûr, je suis conscient que la possibilité de trouver des livres sur l’histoire de la conquête de la Colombie ou sur la vie de Jimenez de Quesada n’est pas une priorité absolue, mais je crois qu’il devrait quand même être possible d’en trouver, car on ne sait jamais ce que sera l'effet de la lecture d'un livre.

Le premier livre que j’ai lu dans ma vie fut L’or des Incas, de Jacques Seyr (un pseudonyme de Henri Verne, l’auteur de la série Bob Morane), un petit livre de la collection Marabout Junior qui racontait la conquête du Pérou. Je l’ai reçu en cadeau en troisième année du primaire lors de la remise des prix de la fin de l’année. Le dernier jour d’école de l’année, il y avait une foule de cadeaux étalés sur le bureau de l’institutrice. Le premier de la classe choisissait celui qu’il voulait et tous les autres faisaient de même chacun son tour selon son rang. Je ne me rappelle pas s’il y avait un cadeau pour tout le monde. Probablement pas. Peut-être seulement pour les dix premiers. En tout cas, mon rang habituel étant le septième ou le huitième j’ai eu le droit de choisir quelque chose. Je ne me rappelle plus ce qu’il y avait d’autre : un ballon, une balle ou un batte de baseball, quelques livres peut-être…, j’ai pris L’or des Incas, et je ne le regrette pas. 


Ce fut le premier livre de ma bibliothèque, et ce n’était pas n’importe quelle sorte de livre : c’était un livre d’Histoire, un peu romancé sans doute, mais quand même une bonne façon de commencer. Je l’ai lu et relu pendant des années, à raison de trois ou quatre fois par année. C’est sans doute de là que vient mon goût pour l’Histoire. L’année suivante, j’ai vu au magasin général du village où je vivais un autre livre du même auteur dans la même collection : Les Conquérant du Nouveau-Monde, un livre dans la même veine que L’or des Incas, mais racontant cette fois la conquête du Mexique par Cortés. Ayant un peu d’argent de poche, je l’ai acheté. Ma vocation d’amateur d’Histoire était lancée. Toute ma vie j’ai aimé lire des livres d’Histoire, mais jamais, jamais, je n’avais entendu parler de Jimenez de Quesada avant de faire connaissance avec une colombienne et de m’être par la suite intéressé à l’histoire de son pays.  

Alors que le Canada et la Colombie viennent de signer, en août 2011, un Accord de libre-échange et que le nombre de colombiens vivant au Québec augmente d’année en année, il serait bon je crois que nous puissions partager des informations sur nos histoires respectives, qui, au fond, ne sont pas si différentes si on prend le temps de les étudier avec un peu plus d’attention. Ce que je me propose de faire en commençant par me documenter davantage sur l’histoire de la Nouvelle-Grenade avant de tenter une comparaison avec l’histoire de la Nouvelle-France. 


Pour me documenter sur l’histoire de la conquête de la Colombie, étant donné qu’il n’y a pour ainsi dire pas de possibilité de trouver des livres sur le sujet en français, je me rends sur le site de la bibliothèque virtuelle de la Biblioteca Luis Angel Arango de Bogota. Plusieurs ouvrages y sont disponibles en lecture libre, entre autres le tome 1 de l’Historia de Colombia, de Jorge Orlando Melo : El establecimiento de la dominacion espanola (Voir ici) qui est considéré comme ce qui s’est fait de mieux sur le sujet, et, un autre incontournable : Descubrimiento del nuevo reino de Granada y fundacion de Bogota (1536-1539), de Juan Friede (Voir ici).  

Historia-de-Colombia

Portada



(1) Tirée de L’Envers de l’Eldorado, économie coloniale et travail indigène de la Colombie du XVIe siècle, un ouvrage de Thomas Gomez publié en 1984 par l’Association des publications de l’Université Toulouse-Le Mirail.



mardi 12 mars 2013

Vidéo sur le Musée de l'or à Bogota en Colombie

Alors que j'étais en train de chercher une image, que je voulais joindre à un texte que je suis en train d'écrire sur la conquête de la Colombie, je suis tombé par hasard sur cette vidéo du Museo del Oro. 

Le Museo del Oro est ce que j'ai trouvé le plus intéressant à visiter à Bogota, la capitale de la Colombie.

Il s'agit d'un musée qui est entièrement consacré à la présentation d'objets en or fabriqués par les peuples qui habitaient ce pays avant l'arrivée des Espagnols au XVIe siècle. Les pièces les plus spectaculaires ont été fabriquées par les Muiscas qui habitaient sur le haut plateau où s'étale aujourd'hui Bogota. Bien qu'on ne trouve pas d'or dans cette région, les Muiscas étaient d'habiles orfèvres et ils se le procuraient auprès d'autres peuples en l'échangeant contre le sel qu'ils produisaient ainsi que contre les draps de coton qu'ils tissaient.  

La vidéo est en espagnol, mais, comme il semble qu'elle est destinée aux enfants en apprentissage de l'espagnol comme langue seconde, sa narration est très simple, très lente et très bien articulée ce qui fait que je crois qu'elle est compréhensible pour un francophone. De toute façon, les images valent 1000 mots.  

mercredi 6 mars 2013

Histoire de la Colombie : le délire de la Conquête




Lors de mon récent et trop court séjour en Colombie en février dernier, j’ai eu le plaisir de recevoir un livre en cadeau.  Bien entendu un livre en espagnol, une langue avec laquelle j’arrive généralement à me faire comprendre dans les situations les plus élémentaires et à parfois comprendre mes interlocuteurs, quand ils ne parlent pas trop rapidement ; mais dans laquelle j’ai cependant la prétention d’être capable de lire des textes complets avec plus ou moins de facilité et plus ou moins d’exactitude selon la complexité de l’écriture, en m’aidant, il va de soit, d’un dictionnaire quand c’est nécessaire. (Cliquez sur l'image pour l'agrandir)





Ce livre, qui s’intitule : «Enigmas y arcano del delirio de la Conquista, rudimentos de legalitad y anarquia en la mentalitad colombiana, de Bastidas a Quesada», que je peux traduire par : «Énigmes et mystères du délire de la Conquête, rudiments de légalité et d’anarchie dans la mentalité colombienne, de Bastidas à Quesada»(1), a été écrit en 1993 par un psychanalyste, José Gutiérrez. Il m’a été offert la veille de mon retour à Montréal par Gabriel Restrepo, un sociologue très connu en Colombie et professeur de l’Universidad National à Bogota,.

J’étais d’autant plus honoré du cadeau qu’une dédicace de la main même de l’auteur adressée à Gabriel Restrepo se trouve dans cet exemplaire. Incidemment, Gabriel est l’auteur du texte de la quatrième page de couverture du livre. Cette présentation, tirée d’un compte-rendu de lecture qui a été publié dans le journal El Tiempo, est une excellente mise en contact avec l’oeuvre de Gutiérrez : 

«Le résultat est fascinant, bien que loin d’être conclusif... pour le moment, sans doute, une nouvelle interprétation de la Conquête en émerge, très éloignée à la fois de l’apologie hispanique comme de l’objection qui surgit chez ceux qui déplorent la brusque interruption de l’évolution indigène. Très bien documentée, autant dans l’ancienne que dans la nouvelle historiographie, l’oeuvre reflète ce qui a déjà été produit à partir de différentes visions contradictoires pour élaborer une nouvelle image plus vraisemblable de la conquête... les pistes qui surgissent du livre de Gutierrez pour dresser le portrait d’un inconscient collectif sont si fécondes... que bien que tant de mythes n’ont pas encore été dominés, ni toutes les énigmes déchiffrées, il en ressort la conviction d’avoir rencontré un solide chemin d’autocompréhension de nos origines historiques».  

Dès le lendemain de la soirée au cours de laquelle j’ai reçu ce livre en cadeau, c’est-à-dire dès que j’ai pu m’asseoir pour attendre l’heure du départ de mon avion dans la salle d’attente de l’aéroport El Dorado (2), je l’ai ouvert pour en lire la première page et j’ai aussitôt bloqué sur son premier paragraphe. Non pas que mon niveau de compréhension de la langue espagnole ne me permettait pas de le comprendre, car il ne se trouvait là aucun mot dont je ne connaissais pas le sens, mais plutôt parce que je ne comprenais pas trop où voulait en venir l’auteur. En effet, il y dit  qu’il avait peut-être oublié un événement primordial de l’histoire de son pays parce qu’à force de dédaigner l’importance de ce que l’on sait, on oublie. Il poursuit au paragraphe suivant en disant que c’est un peu la même chose qui se produit avec la psychanalyse dans l’exercice de laquelle le thérapeute doit faire semblant de ne pas savoir.     

J’avoue que je connais très peu de choses de la psychanalyse et que le discours de José Gutiérrez à son sujet m’a paru quelque peu obscur. Cependant, il ne s’éternise pas sur la question et, quelques lignes plus loin, il revient au fameux événement historique qu’il avait oublié et qui, opportunément, avait soulevé mon intérêt. 

Il s’agit de l’arrivée à Santa Marta, le 14 juin 1514, de ce qui, d’après lui, était la plus grande et la plus dispendieuse des expéditions espagnoles en Amérique. Je dis «d’après lui», car, je n’ai pas de certitudes là-dessus, bien qu’il soit possible qu’avec ses 22 navires et les plus de 2000 hommes qu’ils transportaient, ce fût en effet l’une des plus imposantes expéditions financées par la Couronne d’Espagne, qui, tout compte fait, a rarement sorti de l’argent de sa poche pour s’accaparer de son immense empire. La plupart des expéditions de découvertes et d’explorations étaient en effet financées par le privé. De plus, la date du 14 juin augmentait encore plus mes doutes sur la rigueur des informations historiques de Gutiérres, car Jorge Orlando Melo, dans son «Historia de Colombia : El establecimiento de la dominacion espanola», un des ouvrages les plus reconnus dans l’historiographie colombienne, affirme plutôt que c’était le 12 juin. 

Mais ce n’était pas cela qui me préoccupait le plus. Ce qui m’agaçait, c’était que je me demandais pourquoi il dit qu’il s’agissait là d’un événement primordial dans l’histoire de la Colombie. En fait, cette expédition commandée par Pedro Arias Davila, (mieux connu sous le nom de Pedrarias et surtout réputé pour avoir fait exécuter Vasco Nunez de Balboa, le découvreur de l’Océan Pacifique), ne fit qu’un très bref arrêt à Santa Marta pour s’y emparer de quelques indigènes dans le but de les vendre comme esclaves. Elle se dirigeait vers la Castille d’Or (qui recouvrait les territoires actuels du Nicaragua, Costa-Rica, Panama et la côte atlantique de la Colombie actuelle) dont Pedrarias venait d’être nommé gouverneur. Plusieurs expéditions avaient déjà exploré la côte atlantique de la Colombie actuelle : Rodrigo de Bastidas en 1500, Christophe Colomb lors de son quatrième voyage en 1503, Juan de la Cosa en 1504, Alonso de Ojeda et Diego de Nicuesa en 1510, sans parler des nombreuses expéditions illégales qui écumèrent cette côte pendant cette période pour s’y procurer de l’or et des esclaves.

Alors pourquoi Gutiérrez fait-il tout un plat du passage de l’expédition de Pedrarias à Santa Marta ce 14 juin 1514, en amorçant son essai avec l’évocation de cet événement ?

Il l’explique dans les pages suivantes. La flotte de Pedrarias avait retardé son départ de 5 mois pour attendre un document que les conseillers de la Couronne avaient mis du temps à finaliser. Ce jour-là, à Santa Marta, pour la première fois, mais loin d’être la dernière, le notaire de l’expédition a fait la lecture du «Requerimiento». Un document qui permettait aux Espagnols de déclarer la guerre aux indigènes et à les soumettre à l’esclavage en toute «légalité» s’ils ne répondaient pas positivement à la demande de soumission qui leur était faite dans ce texte au nom du Roi et de la très Sainte Église Catholique.  

Évidemment, il s’agissait là d’une formalité, et une véritable farce, puisque la plupart du temps le «Requerimiento» était lu, comme ce fut le cas à Santa Marta, en l’absence des principaux intéressés, les indigènes, et que, de toute façon, même s’il y en avait eu un, il n’aurait strictement rien compris puisqu’il n’y avait pas de traducteur. 

Autant pour Gutiérrez que pour quiconque examine la conduite de ces premiers explorateurs du Nouveau-Monde, il est normal de se questionner sur la manière dont les actes de ceux-ci ont été en contradiction avec leurs déclarations idéologiques. D’un point de vue psychologique, l’établissement des Espagnols en Amérique commença d’un très mauvais pied, et pas seulement d’un point de vu psychologique, car le «Requerimiento» entraîna une répartition des indigènes entre les conquérants et la mise en place du système des «encomiendas» : des terres qui étaient accordées aux plus méritants des conquérants auxquels ont attribuaient un certain nombre d’indigènes pour y travailler sous un régime quasi esclavagiste. Ce système, bien que révoqué un peu plus tard, s’est perpétué sous la forme des latifundias : de grands domaines agricoles qui exploitent les paysans sans terres. Il s’agit d’une problématique qui a été présente tout au long de l’histoire de la Colombie, et qui encore aujourd’hui continue de miner le climat social puisque les fondements historiques de la guérilla des Farcs se trouvent dans la question du partage des terres agricoles. Cette question est d’ailleurs à l’ordre du jour des discussions qui ont présentement lieu à La Havane entre le gouvernement colombien et cette organisation en vue d’arriver à trouver une solution au conflit armé qui sévit dans ce pays.  

Face à ce conflit et à l’ambiance de violence que l’on trouve en Colombie, je me demande comment cela s’est formé, car au-delà des explications sur le contexte économique, il faut, je crois, comprendre qu’elles en sont les origines historiques. Comment l’Histoire peut nous aider à comprendre la situation actuelle. Je m’interroge d’ailleurs aussi sur ce qui nous différencie de cet univers ici au Canada. Et, de la même manière, je me demande ce qui s’est passé en Nouvelle-France à l’époque des premiers établissements. Si Samuel de Champlain, le fondateur de Québec, en 1608, est connu pour avoir mis sur pied un système de relations amicales avec les premiers habitants de cette région, ce ne fut pas du tout le cas pour Jacques Cartier, qui soixante-dix ans auparavant (1534-1542) explora la vallée du Saint-Laurent et qui se comporta presque de la même façon que les Espagnols le firent plus au sud. Nous qui, au Canada, nous offusquons si facilement du cruel traitement que les Espagnols imposèrent aux indigènes des Caraïbes et du continent américain, étions-nous si différents en Nouvelle-France ? 

Les réponses à ces questions prendront probablement beaucoup de temps à se documenter et à s’élaborer. J’en ai probablement pour des années si je persiste dans cette voie. Cependant, quoi qu’il advienne, mon intention est de publier sur ce site les différentes étapes de ma démarche de recherche. Pour l’instant, voici deux exemples d’événements qui se sont passés, l’un à Santa Marta, le premier établissement permanent en Colombie et, l’autre, à Québec, le premier établissement permanent au Québec.   

Dans son troisième chapitre, José Gutiérrez examine le sort de Rodrigo de Bastidas, le premier et le «bon» gouverneur de Santa Marta qui fut assassiné en 1527 par 6 de ses 9 capitaines qui n’acceptaient pas qu’il leur interdise de faire des razzias dans les villages indigènes. Santa Marta étant le premier établissement permanent en Colombie ainsi que la première tentative de colonisation, ce crime, suggère le psychanalyste Gutiérrez dans son livre sur le délire de la Conquête, devient le péché originel de la fondation de la Colombie et il se demande si cet événement ne pourrait pas expliquer les tortueux méandres de l’âme colombienne qui aurait commencé à se forger à partir de cet obscur crime originel.

À Québec, en 1608, alors que la nouvelle colonie fondée par Champlain se préparait pour son premier hiver, une mutinerie éclata. Ses quatre meneurs furent dénoncés. Duval, leur chef, fut pendu, étranglé et décapité, et sa tête plantée sur un pique. Bastidas n’aurait pas fait mieux s’il avait pu réagir à temps. Mais est-ce que cela aurait changé quelque chose dans l’histoire de la Colombie ? Aucun des conquérants espagnols en faveur de relations plus humaines envers les indigènes n’a jamais été capable de s’imposer.    


  1. Rodrigo de Bastisdad, qui, en 1525, a fondé Santa Marta, le premier établissement espagnol permanent en Colombie, et, Jimenez de Quesada, qui, en 1538, a fondé Bogota, la capitale du pays.
  2. Le choix de ce nom pour l’aéroport de la capitale de la Colombie n’est pas innocent : la conquête du pays s’est faite au cours d’expéditions qui étaient à la recherche de l’El Dorado.