jeudi 19 décembre 2013

Mon opinion sur un roman de Douglas Kennedy : L'homme qui voulait vivre sa vie


Je ne me rappelle plus trop ce qui m'a amené à lire ce livre. Une référence dans un article lu sur le web, peut-être. En tout cas, quelque chose m'a poussé à me procurer ce livre et à le lire et j'ai vraiment été très déçu.




C'est nul et je ne comprends pas que je suis à peu près le seul à dire cela.

L'intrigue ne tient pas debout ni non plus la psychologie du personnage. Qu'un homme assassine l'amant de sa femme, sans vraiment le vouloir, c'est tout à fait possible, mais qu'il lui brise les jambes pour faire entrer le corps dans le frigo et qu'il lui fracasse et lui arrache les dents pour qu'on ne puisse pas identifier le corps, c'est autre chose, surtout que ça ne semble pas le troubler le moindrement. Un vrai psychopathe alors que pourtant tout dans le roman tente de nous le présenter comme étant un être sympathique, un bon père de famille, un bon amant, un bon confrère de travail, etc.

Ensuite, la réussite de son changement d'identité est plus qu'invraisemblable, mais le pire c'est de le voir ensuite avoir un succès international comme photographe sous cette fausse identité. C'est con, mais con comme ce n'est pas possible ! Quand on risque de se faire accuser de meurtre, on prend un profil bas et on évite toute vie publique, surtout quelques mois à peine après le meurtre. Et c'est quoi cette manie de faire que ses personnages réussissent aussi bien dans la vie, gagnent autant d'argent ? Il y a des milliards d'êtres humains sur Terre qui vivent leur vie sans "réussir".  

Quant à son deuxième vol d'identité, là, je manque de mots pour exprimer ce que j'en pense...  Prout, prout, prout...

Incroyable que cela s'est vendu à des millions d'exemplaires à travers le monde.

mardi 20 août 2013

Quand Bernie Gunther, le héros de la série de romans policiers de Philip Kerr, semble croiser la route de Maximilien Aue, le narrateur de Jonathan Littell dans Les Bienveillantes.


Dans Vert-de-gris (traduction française de Field Grey), le septième des romans que Philip Kerr consacre à son héros, Bernie Gunther, Bernie est interrogé par la CIA et doit expliquer quel rôle il a joué lors de l’invasion de l’URSS en juin 1941. 


Revenu à la Kripo (police criminelle) en 1938, après avoir oeuvré pendant cinq ans comme détective privé à Berlin, Bernie a été en 1941 incorporé dans un bataillon de réserve de la police et envoyé en Ukraine pour se joindre à des Einsatzgruppes, des unités SS chargées de sécuriser l’arrière des lignes de la Wehrmacht dans leur avancée en territoire soviétique. Bernie croyait que sa mission consistait à combattre les partisans. Cependant, un jour qu’il était en route vers Minsk pour faire son rapport après avoir capturé et exécuté une trentaine d’agents du NKVD (ancien KGB) coupables d’avoir massacré plus d’un millier de prisonniers ukrainiens et polonais dans la cour de la prison de Lutsk, il croise une autre unité SS en train de fusiller des civils juifs parmi lesquels il y avait des femmes âgées. Choqué, il s’arrête et demande des explications. On lui répond que ce sont les ordres. Il appelle au QG à Minsk et il se fait vertement engueuler pour oser ainsi discuter un ordre. Arrivé dans cette ville, il doit faire face à ses supérieurs et se fait menacer d’une rétrogradation. Arthur Nebe, son ancien chef à la Kripo, mais maintenant chef du Einsatzgruppe B, intervient et le sauve en le retournant travailler à Berlin. Heureusement pour lui, car les Einsatzgruppes ont par la suite été impliqués dans des tueries à grande échelle au cours desquelles plus d’un million cinq mille juifs ont été assassinés. C’est ce qu’on appelle la première Shoa, la Shoa par balles, pour la distinguer de la Shoa des chambres à gaz qui s’est mise en branle à partir de 1942.  

Bernie Gunther faisait partie du groupe B, qui avait Minsk comme objectif. Dans Les Bienveillantes, le roman de Jonathan Littell, gagnant du prix Goncourt 2006, Maximilien Aue, son narrateur, fait partie du groupe C qui avait Kiev comme objectif, soit quelques centaines de kilomètres plus au sud, les deux groupes ayant la Pologne comme base de départ dans les premières semaines de l’opération Barbarossa.


Là où je dis que les deux personnages semble se croiser, sans toutefois se rencontrer, c’est lorsqu’en arrivant à Lutsk, tout récemment conquise par l’armée allemande, Aue va visiter le château de Lubar qui avait servi de prison au NKVD et dans sa cour intérieure il découvre un charnier de plus d’un millier de corps en décomposition, des prisonniers ukrainiens et polonais que les Russes ont assassinés avant de fuir la ville. Incapables de rattraper les coupables, les Allemands décident d’exécuter le même nombre de juifs parmi la population de la ville, sous prétexte qu’une grande partie des membres du NKVD étaient des juifs. 

Contrairement à Bernie Gunther, le narrateur des Bienveillantes ne proteste pas devant les massacres de juifs, même s’il s’interroge sur leur pertinence. C’est ainsi qu’il va se retrouver impliqué dans les massacres qui vont avoir lieu dans la région dans les mois suivants.

Aux yeux des autorités soviétiques, Bernie est un criminel de guerre pour avoir commandé l’exécution des agents du NKVD parmi lesquels il y avait des femmes, et il craint constamment d’être remis entre leurs mains. Cependant, il se justifie en disant que c’était la guerre et que ceux-ci étaient coupables d’avoir massacré les prisonniers de Lutsk. Par contre, c’est tout à son honneur d’avoir refusé de participer à l’assassinat de juifs au risque d’en subir les conséquences, ce qu’il n’est d’ailleurs pas le seul à avoir fait. 

L’action de Field Grey, ou Vert-de-gris dans sa version française, se situe en 1954. Mais, étant donné que Bernie Gunther est arrêté par les Américains dès le premier chapitre en face de Guantanamo alors qu’il tente de fuir Cuba et qu’il reste prisonnier de la CIA puis des services secrets français jusqu’au dernier chapitre, il n’y a pour ainsi pas d’action dans ce roman qui prend la forme d’une série de récits que Bernie raconte afin de répondre aux questions de ses interrogateurs sur certains passages de sa vie.  Sans doute que certains lecteurs n’apprécieront pas, mais tous ceux qui ont déjà lu d’autres péripéties de la vie de cet intrigant personnage seront comme moi curieux de connaître d’autres passages de sa vie. De plus, tout en le lisant, je n’ai cessé de penser comment Philip Kerr pouvait lui-même être aussi curieux de connaître ces passages tout en les écrivant. 

Quant aux Bienveillantes, bien que j’ai entrepris de le relire après m’être rendu compte que Maximilien Aue aurait pu croiser la route de Bernie Gunther en Ukraine, je ne crois pas continuer cette relecture au-delà des chapitres concernés. En effet, ce roman été pour moi une source de malaise et d’inconfort lorsque je l’ai lu à sa sortie et je n’ai pas envie de revivre cela. Comment se complaire pendant 900 pages dans la perversité d’un narrateur qui accepte de regarder tuer et même de tuer lui-même juste pour voir l’effet que cela lui fait? 

jeudi 30 mai 2013

Roberto Bolano, le nouveau Garcia Marquez de la littérature latino-américaine ?


Je ne connaissais pas Roberto Bolano avant d’acheter il y a quelques mois un exemplaire du numéro 52 de L’inconvénient, une revue littéraire québécoise d’essai et de création, consacré à la «Naissance et renaissance du roman latino-américain». 





Un article en particulier : « Le coup de pistolet au milieu du concert : la politique et le roman en Colombie» avait motivé mon achat, car je connaissais son auteur, Juan Gabriel Vasquez, pour avoir déjà lu quelques-unes de ses oeuvres et je voulais savoir ce qu’il avait à dire sur la littérature de son pays à propos de la violence qui caractérise son histoire politique.

Après avoir lu cet article, que j’ai trouvé par ailleurs très pertinent, j’ai entrepris la lecture du reste de la revue et c’est ainsi que j’ai pris connaissance de l’article de Mauricio Segura intitulé «Le mythe Bolano». 

Tout en nous racontant ses premiers contacts avec les écrits de Bolano ainsi qu’avec le «mythe Bolano», Segura se montre sinon hostile du moins méfiant vis-à-vis de cet auteur chilien expatrié qui a toujours cultivé avec soin son image de marginal rebelle. Ainsi, il nous rapporte que «Bolano a même détrôné Garcia Marquez au firmament des dieux littéraires hispanophones» tout en ajoutant dans la même phrase «du moins aux yeux d’une majorité de lecteurs anglophones de moins de cinquante ans». 

Dans son article, Segura nous présente une critique élogieuse des Détectives sauvages, qu’il s’était pourtant procuré avec réticence. Il trouve que ce roman est envoûtant et qu’il tient ses lecteurs en haleine bien que l’action se déroule entièrement dans un milieu littéraire absolument marginal dans la société mexicaine. Pour lui, 2666, «roman posthume de plus de 1000 pages» et qui a reçu «une critique dithyrambique dans la plupart des pays hispanophones», «présente un récit où la littérature est un puissant catalyseur, capable de donner un sens au destin d’un homme égaré». 

Fort de cette lecture, je me suis procuré Les Détectives sauvages et un autre roman de Bolano : Le troisième Reich à la bibliothèque, 2666 n’étant pas disponible. 


J’ai commencé par Les détectives voyages, mais j’ai abandonné ma lecture après avoir lu une centaine de pages. Il m’ennuyait avec ses interminables listes de poètes qui participent à d’interminables discussions littéraires tout en se soulant et baisant à qui mieux mieux. 

Le sujet de l’autre roman que j’avais emprunté : Le troisième Reich me paraissait plus intéressant. Un jeune allemand, amateur sinon professionnel et champion en jeux de stratégies simulant la Deuxième Guerre mondiale se rend en vacances en Espagne avec sa petite amie et, alors que celle-ci accumule les séances de bronzage à la plage, lui, préfère se consacrer à son activité favorite à l’intérieur de leur chambre d’hôtel. 


L’intrigue a retenu mon attention jusqu’à la première moitié du roman, mais je me suis ensuite carrément emmerdé en voyant son personnage s’enfoncer dans une espèce de folie qui l’a amené à ne pas retourner en Allemagne avec son amie à la fin de leurs vacances et à rester pendant tout un mois pour jouer à son jeu avec un mystérieux et inquiétant partenaire. J’ai quand même persisté dans ma lecture jusqu’à la dernière page, risquant presque la déprime, et je ne conseille à personne cette expérience de lecture. 

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De plus, je n'ai trouvé aucune qualité littéraire particulière à l'écriture de Bolano.     
  

mercredi 29 mai 2013

1493 - Comment la découverte de l'Amérique a transformé le monde - un ouvrage de Charles C. Mann




































1493 est un livre dont j’attendais depuis plusieurs années la traduction française après avoir précédemment lu 1491 du même auteur. Au cours de ces années, pour calmer mon impatience, j’ai feuilleté à quelques reprises les pages de sa version originale anglaise qui sont offertes en lecture libre sur Amazon et ce que j’ai pu en comprendre, malgré mes faibles capacités de lecture dans cette langue, m’a enthousiasmé et rendu encore plus impatient de pouvoir le lire en français. 

J’espérais ressentir en lisant 1493 la même formidable impression que j’avais ressentie en lisant 1491. L’impression que j’apprenais une foule de choses dont je n’avais aucune idée avant que Charles C. Mann ne vienne me les apprendre, moi, un lecteur qui s’est toujours targué d’aimer l’Histoire et d’avoir déjà d’assez bonnes connaissances en Histoire. 

Le phénomène s’est effectivement reproduit. 1493 est une mine d’or pour celui qui aime découvrir de nouvelles façons d’appréhender l’Histoire, en particulier ici, les bouleversements amenés par la découverte du Nouveau-Monde que ce soit au niveau économique, écologique ou humain. Du développement de la culture du tabac, de la culture de la canne à sucre et du même coup de l’introduction de la malaria et de la fièvre jaune en Amérique, principaux facteurs du transfert de millions de noirs africains à travers l’Atlantique, en passant par l’expansion de la culture de la patate en Europe, de la patate douce en Chine, et des répercussions économiques amenées par l’échange à travers le Pacifique de l’argent des mines espagnoles en Amérique contre les soieries chinoises, sans parler de l’exportation du guano péruvien vers l’Europe ou de l’expansion à travers le monde de la production de caoutchouc à partir de la sève de l’hévéa, Charles C. Mann nous amène à prendre conscience de l’importance du rôle qu’a joué la découverte de l’Amérique dans la mondialisation de l’activité humaine sur la Terre.   

Cependant, malgré tout ce que 1493 peut nous offrir comme nouvelles perspectives d’analyses, j’ai ressenti un certain ennui dans quelques chapitres. Le sentiment que Charles C. Mann allongeait la sauce. Par exemple, dans le chapitre où il décrit en long et en large les répercussions de l’introduction en Chine par les Espagnols de l’argent des mines américaines ou encore le chapitre où il s’évertue à nous décrire l’importance des marrons, ces esclaves africains en fuite qui ont formé des quasis états en Amérique. Mais comme il le dit lui-même, 1493 n’a pas la prétention d’être une analyse systématique : «mon but a été d’accorder la préséance aux questions qui me semblent spécialement pertinentes et bien documentées, et à celles - réflexe de journaliste - que je juge les plus passionnantes».  

Donc, malgré ces petits défauts, je recommande chaudement cette lecture à tous ceux qui considèrent qu’une connaissance de l’Histoire est essentielle pour comprendre le monde dans lequel nous vivons.  

lundi 27 mai 2013

L’avenir des blogues sur internet et, donc, l'avenir de mon blogue




En fin de semaine, j’ai lu un article sur le site Slate tiré de W.I.P., le labo médias de l’école de journalisme de Sciences Po, sur l’avenir des blogues. Il paraît que certains prédisent leur disparition alors que d’autres disent plutôt qu’ils sont en train d’évoluer. 

Cela m’a fait penser que je suis arrivé un peu tardivement dans cet univers, car les premiers blogues ont fait leur apparition en 1999 et je n’ai attrapé le train qu’en 2011, soit une douzaine d’années plus tard. De toute façon, je suis peut-être en dehors de tout cela, car étant donné le nombre de lecteurs que j’ai, ce blogue est plus un lieu où j’archive ce que j’écris qu’un lieu d’échanges. Je mets mes textes ici au lieu de les laisser dans le tiroir de mon bureau, pardon, sur le disque dur de mon ordinateur. Bien sûr, il reste que ces textes sont publics et disponibles pour d’éventuels lecteurs, mais comme je n’ai jamais de commentaires de ces lecteurs, c’est comme s’ils n’existaient pas même si les statistiques du site m’indiquent un certain nombre de visites. Malgré cela, je continue à écrire et je sais que mon écriture chemine et évolue, car je peux constater ce cheminement et cette évolution à chaque fois que je jette un regard sur l’ensemble de mes publications. Peut-être qu’il ne sortira rien de tout cela, mais peut-être que oui. Qui vivra verra. 

Dans cet article de Slate sur l’avenir des blogues, il y avait aussi un lien vers le site d’un écrivain américain qui permet à tout un chacun de le voir écrire «live» et que cet exercice serait l’une des voies d’avenir des blogues. 

Cela me fait penser que c’est un peu ce que je fais moi-même ici, car de publication en publication, on peut voir mon travail avancer.  

Ainsi ce matin, je me sens bien embêté de continuer à écrire l’histoire de Juan de Zumarraga, le Frantses gardien de cochons, que j’ai publiée la semaine passée. Pour la continuer, il faut que je le fasse embarquer sur un navire et je ne connais strictement rien aux navires. Faut dire quand même que je ne connaissais absolument rien sur l’élevage des cochons en Espagne au XVIe siècle, ce qui ne m’a pas empêché d’écrire sur le sujet bien que, au fond, quand j’y pense, je n’y dis pas grand-chose sur les cochons dans ce texte. Alors, qu’est-ce qui m’empêche de continuer à écrire cette histoire ? C’est que je crois que ma tendance à écrire au moyen du dialogue intérieur de mes personnages est encore très forte, bien que j’avais pris la résolution de l’éviter. 

Il y a une grande différence entre écrire une histoire à partir d’un point de vue extérieur et l’écrire à partir d’un dialogue intérieur. Ce dernier exige beaucoup d’investissement émotif de la part de l’auteur en plus d’exiger une connaissance approfondie et détaillée du contexte. Cela ne veut pas dire que ces deux exigences ne sont pas présentes dans le point de vue extérieur, mais à mon avis elles sont beaucoup moins fortes. Par exemple, dans un point de vue extérieur je peux écrire que mon personnage dormait sur le pont du navire, je ne suis pas obligé de décrire son environnement dans le détail, quelques informations générales peuvent suffire pour faire comprendre le contexte au lecteur. Par contre, d’un point de vue intérieur, je dois décrire son état d’esprit et son environnement d’une façon beaucoup plus détaillée. Pour moi, c’est difficile, voire impossible de le faire sans commettre de grossières erreurs, tels des anachronismes. Cela me bloque et m’empêche carrément d’écrire. Il ne faut donc pas que je persiste dans cette voie.     

vendredi 17 mai 2013

Juan de Zumarraga, le Frantses qui gardait des cochons


Voici l'introduction d'un premier chapitre de ce qui pourrait peut-être un jour être une plus longue histoire. Il s'agit du personnage dont je vous ai parlé dans mon dernier blog et qui, finalement, n'est pas mort-né. 




Juan se disait basque. C’est d’ailleurs sous l’appellation de Juan de Zumarraga, le nom de la vallée dont il était originaire, qu’il doit sûrement figurer sur une ou l’autre des nombreuses listes d’enrôlement d’équipages que l’on peut trouver dans les dépôts d’archives de son époque. Quant à une preuve plus tangible de sa naissance, par exemple une attestation de baptême, mieux vaut ne pas trop y penser. À Zumarraga, ce n’est qu’à partir de 1576 que les registres paroissiaux ont commencé à être tenus d’une façon rigoureuse, soit une bonne soixantaine d’années après la naissance de Juan. 

Sa mère s’appelait Jeanne. Elle n’était encore qu’une enfant quand ses parents, un Gascon et sa compagne qu’on appelait la Frantsesa (la Française en Euskara, la langue basque) vinrent travailler aux récoltes sur le domaine des Etchedorry situé sur les flancs du mont Beloqui pas très loin d’un réputé ermitage dont le nom, Zumarraga, avait été adopté pour nommer la vallée toute entière. À la fin de la saison, le couple laissa sa fille comme servante dans la maison de Luis Abitzu Etchedorry, le maître du  domaine. Celui-ci l’engrossa quelques années plus tard, peu après ses premières règles. 

Juan n’a pas gardé beaucoup de souvenirs de sa mère, car il devait avoir environ quatre ans quand elle mourut des suites d’une fausse couche, le laissant avec sa sœur Adela, née environ un an après lui, aux soins des domestiques de la maison. Cependant, comme Jeanne lui avait toujours parlé en français, si du moins l’on pouvait qualifier ainsi le patois qu’elle baragouinait, c’était un héritage dont il était très fier et que, contrairement à sa sœur, il s’était toujours efforcé de le cultiver en cherchant à s’exprimer dans cette langue toutes les fois que c’était possible. Ce qui, l’été, était assez fréquent parce que Zumarraga est située sur une route qui permettait de relier deux des plus importantes branches du célèbre chemin de Compostelle.    

À la ferme, l’Euskara était prédominant, car c’était la langue du patron et de sa famille. Cependant, pour les récoltes, ils engageaient des travailleurs saisonniers en provenance de tous les pays avoisinants. On pouvait donc y entendre, selon les années, tout autant le castillan que le catalan, le galicien ou le gascon.    

Il faut dire qu’à la naissance de Juan, l’État espagnol comme on le connaît aujourd’hui venait tout juste d’être constitué. En effet, ce n’est qu’en 1492 qu’Isabelle de Castille et Ferdinand d’Aragon réussirent à unir les différentes entités politiques qui occupaient la péninsule ibérique, à l’exception du Portugal. La vallée de Zumarraga faisait et fait toujours partie du Guipuzcoa, l’une des trois provinces basques espagnoles, qui fut incorporée au Royaume de Castille en 1200. Cette vallée d’à peine trois kilomètres de large sur dix kilomètres de long ne se trouve pas très loin des sources de l’Urola, une rivière qui se jette soixante kilomètres plus loin dans la mer Cantabrique. Sa population composée d’environ 800 âmes et essentiellement de vocation agricole à l’époque où Juan y vivait, avait l’étrange particularité de s’être établie sur le flanc des montagnes où elle s’échinait depuis des siècles à cultiver des terres qui ne donnaient que de médiocres rendements alors que les fertiles terres du fond de la vallée étaient laissées en friche. C’est que, à cause de la pluviosité de son climat et de l’imperméabilité du sol des pentes des montagnes environnantes, les eaux de l’Urola étaient sujettes à de subites hausses de niveau qui entraînaient de fréquentes inondations. Ces débordements pouvaient non seulement détruire les récoltes, mais entraînaient aussi la formation de marécages qui avaient la réputation de favoriser l’éclosion de maladies. 

C’est dans cette forêt marécageuse qui couvrait le fond de la vallée des deux côtés de la rivière Urola que quelques années après la mort de Jeanne on envoya Juan et Adela garder les cochons. 

Proches parents des sangliers sauvages, ces petites bêtes laineuses noires se distinguaient des gros porcs blancs que l’on gardait à longueur d’année à la ferme et que l’on engraissait avec soin afin d’assurer la production du lard salé, un aliment de base, mais aussi un produit qui se vendait bien sur le marché de l’approvisionnement des navires de haute mer. Chaque année, Abitzu Etchedorry en envoyait plusieurs tonneaux à un commerçant de Deba, sur la côte. Les petits cochons maigrichons de la vallée de Zumarraga étaient, quant à eux, réputés pour le jambon qu’on en tirait et dont la plus grande partie était exportée vers Pampelune, la capitale du royaume de Navarre située plus à l’est et, de là, à Barcelone, la capitale de la Catalogne.    

Il n’y a pas de doute que les porcs qu’on avait confiés à Juan et Adela ...





La suite est en lecture libre et téléchargeable sur le site Atramenta que vous pouvez joindre en cliquant ICI

lundi 29 avril 2013

La naissance d’un personnage de fiction


Depuis quelques mois, tout en poursuivant mes lectures sur l’histoire de la conquête de la Colombie et, pour ainsi dire "par la bande", sur l’histoire de la conquête du Nouveau-Monde par les Espagnols, je me demande quelle serait pour moi la meilleure façon d’utiliser tout ce bagage de connaissances. 

Au début, je pensais m’en servir pour écrire une histoire de la conquête de la Colombie, car j’ai pu constater que les ouvrages en français traitant de ce sujet sont d’une grande rareté. Même si je n’ai pas fait d’études en Histoire et que je ne suis pas reconnu comme historien, je crois que je pourrais écrire un livre qui se distinguerait par son approche. Je garde en effet l’espoir de trouver une façon de comparer ce qui s’est passé au Canada au début de la Nouvelle-France et ce qui s’est passé en Colombie lorsque les Espagnols ont commencé à s’y établir. Cela pourrait être un moyen de mieux comprendre pourquoi l’histoire de ce pays a toujours été si marquée par la violence.  

C’est en ayant cette problématique en tête que, je ne me rappelle plus par quel hasard ou par quelle suite d’idées, je me suis retrouvé à m’intéresser à l’histoire de la présence des chasseurs de baleines Basques dans le golfe Saint-Laurent au cours des premières décennies du 16e siècle, soit avant même la « découverte » du Canada par Jacques Cartier en 1534. 

Il est en effet maintenant reconnu que Jacques Cartier était loin d’être le premier à naviguer dans les eaux du golfe Saint-Laurent et probablement aussi dans le fleuve comme tel. Certes, l’explorateur malouin l’a exploré et cartographié et il a officiellement pris possession du territoire au nom de roi de France, mais tout au long de son journal il note à plusieurs reprises des rencontres avec des navires de pêcheurs de morue et de chasseurs de baleines qui sont la preuve même que cette région était déjà fréquentée bien avant son passage. De plus, le comportement des Iroquoiens qu’il a rencontré à la Baie-des-Chaleurs montre bien que ceux-ci avaient l’habitude de commercer avec des navires européens. Des documents notariaux témoignent que des pêcheurs de morue bretons, anglais, portugais, basques français et espagnols fréquentaient les eaux du golfe Saint-Laurent depuis le début des années 1500. Plusieurs historiens se risquent même à avancer l’hypothèse qu’ils auraient pu si rendre au cours de la dernière décennie du 15e siècle, peu après ou peut-être même avant que Christophe Colomb ne débarque dans les Antilles. Il reste cependant qu’il n’existe aucune preuve directe de ces voyages à part des allusions dans certains documents où par exemple l’on pouvait écrire qu’un tel ou un tel allait pêcher aux Terres Neuves depuis quinze ou vingt ans. Ce n’est qu’à partir du milieu du 16e siècle, avec l’augmentation du tonnage des navires et donc de leur valeur, que les pêcheurs commencèrent à prendre l’habitude d’assurer leurs navires et leurs cargaisons ou d’authentifier chez le notaire des accords entre partenaires financiers. Chose certaine, ces marins étaient techniquement capables de le faire. En effet, les navires et les équipages des expéditions de découvertes étaient souvent recrutés parmi les pêcheurs qui avaient déjà l’expérience des voyages sur l’Atlantique. D’ailleurs, la caravelle, le navire qui rendit possible ces expéditions, était tout autant utilisée par les pêcheurs que par les explorateurs. À l’époque, il n’y avait pas de différence entre un navire de pêche transatlantique, un navire d’exploration, un navire de commerce, ou même un navire de guerre ou de pirates. Il était courant aussi qu’un navire ayant servi à la pêche à la morue ou à la chasse à la baleine pendant quelques années soit ensuite vendu pour servir sur la route des Indes.

Quelle merveilleuse histoire pourrait être tirée de la vie d’un marin basque qui irait chasser la baleine ou pêcher la morue une année et qui, une autre année, se ferait engagé sur un navire qui se rendrait aux Indes occidentales (c’est ainsi que l’on nommait les possessions espagnoles des Caraïbes et des côtes environnantes avant que l’appellation Amérique ne se répande à partir du milieu du 16e siècle)! 

Sa participation, par exemple, à la conquête du Mexique, de 1519 à 1521, devant être écartée, car beaucoup trop précoce pour être vraisemblable, reste à voir si sa participation à l’aventure de Francisco Pizarro au Pérou, de 1531 à 1534, pourrait être chronologiquement possible, ou s’il serait plus prudent de plutôt l’embarquer sur un des navires qui accompagnaient l’expédition de Jimenez de Quesada sur le fleuve Magdalena en 1536. 

Sans être encore certain du nom de ce marin, je penche pour quelque chose d’aussi commun que Juan. Pour ce qui est de son patronyme, après avoir vu cette image sur un site internet consacré aux Basques, j’ai pensé qu’il pourrait s’appeler Juan de Zumarraga. 


Dans un livre de bâptemes de Zumárraga de 1526 figure le dessin d'une chaloupe avec cinq rameurs, le patron à la barre et un harponneur, avec une baleine capturée

Dans un livre de baptêmes de Zumarraga de 1526 figure le dessin d'une chaloupe et une baleine capturée.





Ce nom illustre très bien ce que j’attends de mon personnage, car le lien que crée cette image qui représente une activité de pêche associée aux Basques avec la conquête du Nouveau-Monde par les Espagnols est très fort. En effet, je ne m’en suis rendu compte après l’avoir inventé, Juan de Zumarraga est aussi le nom du premier évêque de Mexico (nommé en 1528). Il était natif d’une ville située à une quarantaine de kilomètres de Zumarraga. Ensuite, Miguel Lopez de Legazpi, le fondateur, en 1571, de Manille aux Philippines était originaire de... Legazpi, située à quelques kilomètres de Zumarraga. La quantité de conquistadors natifs du pays basques est d’ailleurs impressionnante, ce qui démontre bien que le pays basque «was the nursery of spanish seamen, wich supplied most of the man power on the american run» (Amerikanuak: Basques in the New World).




Cependant, même si le contexte dans lequel le personnage de Juan de Zumarraga évoluerait m’apparait original et intéressant, je ne crois pas qu’il puisse m’être utile pour illustrer les différences entre ce qui s’est passé au Canada au début de la Nouvelle-France et ce qui s’est passé au début de la Colombie. Ce qui fait que, en date d’aujourd’hui, je ne sais pas encore si je vais me lancer dans cette aventure. Donc, même si je peux revendiquer la conception du personnage de Juan, il n'est pas impossible que cela se termine par un avortement.   




Post Scriptum (30 avril 2013)

La possibilité d'un avortement du personnage de Juan de Zumarraga, que je mentionne à la toute fin du texte que j'ai mis en ligne hier, n'a pas été longue à se manifester. En effet, dans les heures qui ont suivi la mise en ligne de ce texte, j'ai trouvé sur internet le site d'une écrivaine américaine d'origine basque, Christine Echeverria Bender, qui est l'auteure de trois romans dont les personnages principaux sont de jeunes marins basques. Le troisième de ces romans, The Whaler's forge, publié en 2009, raconte l'arrivée en 1364 d'un navire de chasseurs de baleines sur les côtes de l'Amérique du Nord. Au moment d'entreprendre son voyage de retour, un des membres de son équipage, Kepa de Mendieta, est laissé à terre par accident. Le roman raconte ses efforts pour survivre alors que l'hiver s'annonce. 


(Cliquez sur l'image pour lire le premier chapitre)

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Ses deux précédents romans avaient des thèmes semblables. Le premier, Challenge de Wind, publié en 2000, raconte les aventures de Domingo Laca, un jeune basque né dans une famille de chasseurs de baleines qui, en 1492, s'engage comme matelot sur la Santa Maria de Christophe Colomb. 


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Le deuxième, Sails of fortune, publié en 2005, raconte le voyage autour du monde (de 1519 à 1521) de Juan Sebastian Elkano, le marin basque qui commandait la Victoria, le seul des navires de Fernand de Magellan qui revint en Espagne avec les 18 survivants des 234 membres de l'expédition.  


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De plus madame Echeverria a un quatrième ouvrage en chantier. Il s'agirait d'un roman racontant le voyage de Juan Rodriguez Cabrilho qui explora la côte ouest-américaine en 1542. 


Conclusion : Après avoir feuilleté les premières pages de Whaler's forge et de Challenge de wind, sans cependant vouloir porter de jugement sur la qualité de son écriture, je crois que par ses origines basques elle a un bagage culturel qui me fait cruellement défaut pour écrire ce genre d'histoires. Ainsi, j'ai pu lire dans les premières pages de Whaler's forge, que son héros jouait du "txistu", une flûte traditionnelle basque. Dans les premières pages de Challenge de wind, j'ai pu aussi lire des lignes sur des rites préchrétiens. Par contre, le fait qu'elle est mis des arquebuses dans les mains de ses personnages dans Whaler's forge, un roman qui se passe en 1364 est une grosse erreur chronologique ces armes n'étant apparues que plus d'un siècle plus tard. 

mercredi 10 avril 2013

La surpêche des chalutiers chinois et la conquête de l'Amérique par les Espagnols




En lisant cette semaine un article (voir ici) sur la scandaleuse surpêche pratiquée par des chalutiers géants qui vident le fond des mers dans les eaux internationales, j’ai immédiatement fait un parallèle entre ces agissements qui détruisent inconsidérément les ressources de la planète dans le but de réaliser des profits à court terme et le comportement tout aussi inconsidéré des Espagnols lorsqu’ils s’établirent en Amérique au début du 16e siècle. 



Sans vouloir m’inscrire dans la controverse sur le nombre d’êtres humains qui habitaient ce continent avant l’arrivée de Colomb en 1492 et ce qui en restait un siècle plus tard, il n’en demeure pas moins que tout le monde est d’accord pour reconnaître la stupéfiante rapidité avec laquelle s’est réduite cette population.  

Ainsi, les deux ou trois millions d’habitants de la première ile des Antilles que les Espagnols ont colonisée, La Espanola (l’ile de Saint-Domingue où se trouvent maintenant Haïti et la République dominicaine), avaient quasiment disparus vingt-cinq ans plus tard (il ne restait que 60,000 adultes mâles en 1509, 11,000 en 1518, et moins de 500 l’année suivante après une épidémie de variole). Cette disparition a engendré une pénurie de main-d’oeuvre qui a poussé les conquérants à se lancer dans une chasse aux esclaves sur les autres îles des Caraïbes ainsi que sur les côtes de la «Tierra Firme» (Venezuela, Colombie et les pays de l’actuelle Amérique Centrale). Comme ceux-ci mourraient tout aussi rapidement, ils se sont alors tournés vers le tout aussi odieux trafic des esclaves africains.

Dans l’ancien empire Aztèque au centre du Mexique, des 25 millions d’habitants qui y vivaient en 1518 avant l’arrivée des Espagnols, il n’en restait plus que 700,000 en 1623.


«Qui parmi les générations futures croira cela ? Moi-même, qui écris ces lignes, qui l’ai vu de mes yeux et qui n’en ignore rien, je peux difficilement croire qu’une telle chose ait été possible.» 


Ces lignes, ont été écrites par Bartolomé de las Casas, l’un des plus célèbres militants de la protection des indigènes des Amériques qui fait la preuve que tous les Espagnols n’étaient pas insensibles devant ce qui se passait. Très tôt, des hommes courageux, comme Antonio de Montesinos en 1511, ont dénoncé à leurs risques et périls le scandaleux génocide qui se déroulait sous leurs yeux. À ce propos, le magnifique film Even the rain, reprend cette histoire en dressant un parallèle entre la situation actuelle en Bolivie et ce qui arriva à Saint-Domingue à la fin du 15e siècle. 





Montesinos, un dominicain, est l’un des personnages de la reconstitution historique qui constitue l’une des trames de ce film. Il est célèbre pour le sermon qu’il adressa à ses ouailles, des propriétaires terriens de Santo Domingo en 1511 :


«Dites-moi de quel droit et en vertu de quelle justice vous tenez ces Indiens sous une si terrible et cruelle servitude. En vertu de quelle autorité avez-vous fait d’aussi détestables guerres à ces hommes qui vivaient tranquilles et pacifiques chez eux où vous êtes venus les détruire massivement en leur infligeant une mort et des destructions inouïes ? Comment osez-vous les tenir dans un tel asservissement, épuisés, sans nourriture, sans soigner les maladies qu’ils contractent à cause du travail excessif auquel vous les soumettez et dont ils meurent ou plus exactement ils sont assassinés par vos soins pour vous permettre d’extraire et d’amasser toujours plus d’or ?»



Certains sont prêts accorder une quasi-absolution aux conquistadors sous prétexte qu’ils n’auraient pas volontairement introduit les microbes qui ont causé les épidémies responsables d’une grande partie de cette mortalité. D’accord, sauf que même si les maladies se sont parfois répandues avant même l’arrivée des Espagnols, comme au Pérou par exemple, d’autres facteurs dont les conquérants, et surtout le système financier qui leur permettait d’entreprendre leurs expéditions, étaient entièrement responsables ont contribué à affaiblir ces sociétés et à les rendre encore plus inaptes à se défendre contre les maladies. Et ces facteurs sont directement liés aux impératifs de rentabilité qui animaient les opérations de conquêtes. 

Nous avons tous appris que les Européens avaient entrepris d’explorer l’Atlantique parce que les circuits commerciaux qui depuis des siècles approvisionnaient l’Europe en épices et soieries avaient été coupés par les Turcs après la prise de  Constantinople en 1453. La recherche d’un autre chemin pour atteindre l’Asie aurait ainsi amené Christophe Colomb à découvrir l’Amérique, et en croyant qu’il s’y trouvait à nommer «indiens» les gens qui y vivaient. Erreur qui s’est perpétuée jusqu’à nos jours et qui continue de poser problème, car faute d’un nom propre pour ce continent, comment faudrait-il les appeler, le terme «Amérindien» n’étant pas plus approprié ?

Là où je veux en venir avec ma comparaison entre la surpêche et l’extermination des peuples qui habitaient l’Amérique, c’est que les expéditions de découvertes espagnoles, portugaises, anglaises ou françaises étaient presque toutes financées en partie ou totalement par des commerçants et banquiers italiens. Les royautés au nom de qui les nouvelles terres découvertes étaient revendiquées n’avaient en réalité de grandeur que dans leurs titres. Aucune n’avait les moyens de soutenir de telles expéditions, car à cette époque l’Europe sortait tout juste du Moyen-âge et les états nations commençaient à peine à se former. Envoyer une flotte de caravelles au-delà des océans équivalait presque à envoyer une fusée sur la Lune. La dette ainsi due imposait des impératifs de rentabilité qui avaient une énorme influence sur la conduite des explorateurs, les amenant à traiter les populations indigènes de façon inhumaine ou en niant même leur humanité. Le capitalisme était en train de naître et la découverte de l’Amérique a joué un rôle fondamental dans son développement, l’or et l’argent du Pérou et du Mexique constituant sa principale mise de fonds. Selon Michel Beaud dans son ouvrage, Histoire du capitalisme, «le fabuleux pillage de l’Amérique» fut la première étape du développement du capitalisme. 

Ce n’est pas un hasard si un grand nombre d’explorateurs étaient d’origine italienne que ce soit Cristoroforo Colombo, natif de Gênes ; Amerigo Vespucci, natif de Florence ; Giovanni da Verrazzano, également natif de Florence ; Giovanni Caboto, originaire de Gênes et qui est devenu John Cabot pour les anglophones. 

Voici un extrait d’un très intéressant ouvrage de Thomas Gomez, L’invention de l’Amérique, qui explique bien ce qui s’est passé : 

«En observant le déplacement de l’épicentre des mouvements commerciaux de la Méditerranée orientale vers l’Atlantique, on s’aperçoit que le rôle joué par les Génois fut considérable. Lorsque leurs colonies levantines commencèrent à décliner par suite des attaques turques, bon nombre de Génois partirent s’établir dans les grandes villes espagnoles et en particulier dans celles du Sud. Mais, fait essentiel pour la péninsule, ils n’arrivèrent pas les mains vides : ils apportaient des capitaux importants ainsi que des techniques financières et commerciales. Ils avaient également la maîtrise de l’art de  la navigation et une grande expérience de la colonisation... Quels que soient les promoteurs des grandes équipées d’exploration et de colonisation, on trouve très souvent à leur tête des Italiens qui mettent leur expérience, leur savoir-faire et leurs capitaux au service de monarques habités par le désir d’expansion économique... Sous quelle bannière que ce fut, il est clair que la contribution des Italiens aux voyages d’exploration et à la mise en place des premiers empires coloniaux de dimension mondiale s’avéra fondamentale.» (page 51)

Les Italiens ne sont plus depuis longtemps des acteurs importants du développement du capitalisme. Ils ont vite été écartés par les Flamands, les Anglais, les Américains qui, à leur tour, sont en train d’être dépassés par les Chinois. Mais c’est toujours la même chose qui se reproduit, et cela dans tous les secteurs de l’activité économique. Le développement des technologies permet, comme le montre l’article auquel je fais référence au début de ce texte, la construction de chalutiers géants qui joins à des navires-usines frigorifiques vident le fond des mers. Ce processus de destruction de la planète au nom de la recherche d’un profit à court terme est tout à fait identique au processus qui a entraîné la disparition de 90% de la population des continents américains lors de leur conquête, anéantissant des civilisations entières. 

En lisant l’histoire de la conquête de la Colombie, je découvre des descriptions sur les agissements des Espagnols qui montrent extraordinairement bien le processus de destruction dont ils furent les agents, la plupart du temps à leurs dépends. Je crois que cette histoire est un très intéressant objet d’étude, car étant le dernier grand territoire à être conquis après le Mexique et le Pérou, son invasion presque simultanée et presque systématique par trois armées partant de trois points différents est une excellente démonstration de la puissance de destruction du capitalisme, d’où est issue la Colombie d’aujourd’hui. 


Note : Comme cela fait 2 ans ce mois-ci que j'entretiens ce blog et que je n'ai jamais reçu un seul commentaire de la part de l'un de mes 1160 visiteurs, je me suis demandé s'il était possible qu'il y ait un problème. Après vérification, je me suis rendu compte que mon site était configuré de telle sorte que personne ne pouvait laisser de commentaire à part ses trois membres inscrits. J'ai donc changé cette option pour ouvrir les commentaires à tous, en espérant que cela ait un effet positif, car j'ai beau voir ce site comme un exercice d'écriture, presque un journal intime, cela me ferait quand même plaisir d'obtenir quelques réactions extérieures de temps en temps. 

mardi 19 mars 2013

Tout le monde connaît Cortés et Pizarro, mais qui connaît Jimenez de Quesada ?


Dire que tout monde connaît Hernan Cortés et Francisco Pizarro est peut-être une exagération, mais je me plais quand même à croire que la majorité des personnes qui ont une connaissance minimale de l’histoire de l’humanité sont capables reconnaître le nom du conquérant des Aztèques au Mexique et celui du conquérant des Incas au Pérou. Ces deux personnages n’ont peut-être pas la notoriété d’un Christophe Colomb, mais ils ne doivent pas être très loin derrière lui. Mais qu’en est-il de Rodrigo Jimenez de Quesada, le chef de l’expédition espagnole qui s’empara du territoire habité par les Muiscas en Colombie, une civilisation qui avait atteint un degré de développement presque aussi avancé que celui des Aztèques et des Incas ? 

Cette carte (1) montre le territoire occupé par les Muiscas sur les hauts plateaux situés en amont du fleuve Magdalena, là où les Espagnols ont fondé la ville de Santa Fe qui va plus tard devenir Bogota, la capitale de l’actuelle Colombie. (Cliquez sur la carte pour la grossir)





Habiles agriculteurs, commerçants, tisserands et orfèvres, les Muiscas n’étaient pas un peuple guerrier et n’offrirent aucune résistance devant l’envahisseur. Pas un seul  Espagnol n’est mort au combat pendant la conquête de leur territoire, de sorte qu’aucun récit d’héroïques faits d’armes n’en est ressorti même si seulement environ 170 des 600 hommes qui composaient l’expédition à son départ de Santa Marta, en avril 1536, étaient encore vivants lorsqu’ils sont arrivés au pays des Muiscas en mars 1537. Les autres étaient morts de faim, d’épuisement, de maladies, de noyades, dévorés par les caïmans ou tués lors de sporadiques combats contre les peuplades qui habitaient les rives du fleuve Magdalena. Le plus grand mérite de Jimenez de Quesada en tant que chef de cette expédition a probablement été de ne pas avoir été assassiné par ses propres hommes au cours du calvaire qu’ils ont dû endurer lors de ce parcours de 1000 kilomètres qu’ils ont entrepris afin de trouver un chemin vers le Pérou, car tel était leur objectif : rejoindre ce pays récemment conquis par Francisco Pizarro. Ils voulaient eux aussi s’enrichir. Heureusement pour eux, ils ne s’y rendirent pas, car ils n’auraient sans doute pas survécus aux périls qui les attendaient plus en amont. Stoppés dans leur marche par une crue des eaux, ils ont bifurqué de leur itinéraire qui suivait le fleuve pour emprunter des sentiers qui les ont amenés à gravir la Cordillère Orientale où ils ont découvert, à 2,700 mètres d’altitude, un plateau de 30,000 kilomètres carrés de fertiles terres densément peuplées par les Muiscas. Ils vont y récolter le second plus riche butin de toutes les conquêtes faites par les Espagnols en Amérique, après celui du Pérou. Beaucoup plus que ce que la majorité des soldats de Cortés reçurent après la conquête du Mexique. Désireux de bien assurer leur mainmise sur ce territoire, qu’ils appelèrent Nouvelle-Grenade, les membres de l’expédition l’exploreront pendant deux ans sans jamais tenter de donner des signes de vie à leur base de départ.  

En prenant assez tardivement connaissance de cette histoire, je me suis demandé comment il se faisait que je n’en avais jamais entendu parler auparavant et pourquoi le nom de Jimenez de Quesada m’était absolument inconnu.

Ainsi, ce premier matin à Bogota, le 29 janvier 2013, alors que je m’apprêtais à partir seul visiter le quartier de la Candelaria, le quartier historique de la ville, je n’ai pu dire le nom de Jimenez de Quesada au complet lorsqu’on m’a demandé si je savais par coeur l’adresse de l’hôtel où nous logions. Tout ce que je me rappelais c’était que nous étions au coin de la Carrera 5 et de l’Avenida Quesada. Mais ce n’était pas suffisant, paraît-il, parce que les gens ne me comprendraient pas si je ne disais que Quesada, car, usuellement, les gens l’appellent plutôt l’Avenida Jimenez. J’ai dû avouer que je ne me rappelais pas ce qui venait avant ce Quesada, un nom que j’avais pourtant rencontré à quelques reprises au cours des lectures que j’avais récemment faites pour connaître un peu plus l’histoire de ce pays avant de le visiter.

En constatant mon ignorance presque absolue d’un personnage aussi important dans l’histoire de la conquête des Amériques, je me suis mis à penser que si moi, une personne qui a toujours eu un grand intérêt pour l’Histoire, je ne le connaissais pas, que pouvait-il en être des autres québécois ?  

Ma première démarche pour essayer de répondre à cette question a été d’aller vérifier si je pouvais trouver un livre sur lui dans le réseau des bibliothèques publiques de la ville de Montréal. Je n’y ai rien trouvé. Absolument rien ! Rien non plus chez Renaud-Bray.

À la bibliothèque nationale du Québec, un seul titre est sorti quand j’ai inscrit «Jimenez de Quesada» dans l’outil de recherche de son catalogue : Le chevalier de l’Eldorado de German Arciniega, la traduction française d’un livre publié pour la première fois en Colombie en 1939. Il ne doit pas être très en demande, car j’ai dû attendre une semaine après l’avoir demandé, car ils ont dû le faire venir d’une réserve située à l’extérieur de la bibliothèque. De plus, ce n’est pas à proprement parler une biographie ou un livre d’Histoire. Il s’agit plutôt d’un essai littéraire sur un fond historique, car l’auteur y propose l’hypothèse que Jimenez de Quesada aurait servi de modèle pour le Don Quichotte de Cervantès. Le livre d'Arciniega semble avoir eu une assez bonne réputation, car en plus de l’exemplaire en français que j’ai trouvé à la Bibliothèque Nationale, il y en un exemplaire dans sa version anglaise à l’Université McGill et à l’Université Concordia et un autre en espagnol à l’Université de Montréal et à l’Université Laval. 

Le chevalier de l’El Dorado est le seul livre en français entièrement consacré à Jimenez de Quesada que l’on peut trouver à Montréal. Par contre, j’ai trouvé à la bibliothèque de l’Université du Québec à Montréal un ouvrage en français qui traite de «l’économie coloniale et travail indigène dans la Colombie du XVIe siècle». Il s’agit d’un travail intitulé L’envers de l’Eldorado réalisé par Thomas Gomez. On peut y trouver dans sa première partie un récit qui raconte la conquête du pays muisca par l’expédition commandée par Jimenez, mais l’intérêt de l’ouvrage réside plus dans sa description du contexte socio-économique de la nouvelle colonie ainsi que de ce qu’il adviendra des populations indigènes après leur conquête. On sait que les «indiens» ne représentent plus que 3.4 % de la population de l’actuelle Colombie, ce qui démontre l’ampleur du désastre démographique qui y fut à l’oeuvre.

C’est un peu mieux en anglais. En effet, on peut trouver The Conquest of New Grenada (qui date de 1922), de Robert Graham, à l’Université Concordia, l’Université McGill et à l’UQAM, ainsi que sur les rayons de la librairie Chapter-Indigo. De plus, il est disponible sur Amazon. Il y a aussi Invading Colombia, de J. Michael Francis, dont on peut trouver un exemplaire à la bibliothèque de l’Université du Québec à Montréal et à l’Université McGill, de même que sur Amazon. 

Si vous lisez l’espagnol, vous pouvez également trouver un livre intitulé Ximenez de Quesada en sus relaciones con los cronistas, de Demetrio Ramos Pérez, à la bibliothèque de l’Université de Montréal et à celle de l’Université McGill. Il y a aussi L’Epitome de la Conquista del Nuevo Reino de Granada qui est disponible à l’Université de Montréal.

Cette absence quasi totale de documentation en français, qui n’est d’ailleurs guère mieux en anglais est étrange alors que les biographies plus ou moins romancées de la vie de Cortés ou de Pizarro pullulent. Je n’ai eu que l’embarras du choix lorsque j’ai voulu me renseigner sur ces deux hommes.

Bien sûr, je suis conscient que la possibilité de trouver des livres sur l’histoire de la conquête de la Colombie ou sur la vie de Jimenez de Quesada n’est pas une priorité absolue, mais je crois qu’il devrait quand même être possible d’en trouver, car on ne sait jamais ce que sera l'effet de la lecture d'un livre.

Le premier livre que j’ai lu dans ma vie fut L’or des Incas, de Jacques Seyr (un pseudonyme de Henri Verne, l’auteur de la série Bob Morane), un petit livre de la collection Marabout Junior qui racontait la conquête du Pérou. Je l’ai reçu en cadeau en troisième année du primaire lors de la remise des prix de la fin de l’année. Le dernier jour d’école de l’année, il y avait une foule de cadeaux étalés sur le bureau de l’institutrice. Le premier de la classe choisissait celui qu’il voulait et tous les autres faisaient de même chacun son tour selon son rang. Je ne me rappelle pas s’il y avait un cadeau pour tout le monde. Probablement pas. Peut-être seulement pour les dix premiers. En tout cas, mon rang habituel étant le septième ou le huitième j’ai eu le droit de choisir quelque chose. Je ne me rappelle plus ce qu’il y avait d’autre : un ballon, une balle ou un batte de baseball, quelques livres peut-être…, j’ai pris L’or des Incas, et je ne le regrette pas. 


Ce fut le premier livre de ma bibliothèque, et ce n’était pas n’importe quelle sorte de livre : c’était un livre d’Histoire, un peu romancé sans doute, mais quand même une bonne façon de commencer. Je l’ai lu et relu pendant des années, à raison de trois ou quatre fois par année. C’est sans doute de là que vient mon goût pour l’Histoire. L’année suivante, j’ai vu au magasin général du village où je vivais un autre livre du même auteur dans la même collection : Les Conquérant du Nouveau-Monde, un livre dans la même veine que L’or des Incas, mais racontant cette fois la conquête du Mexique par Cortés. Ayant un peu d’argent de poche, je l’ai acheté. Ma vocation d’amateur d’Histoire était lancée. Toute ma vie j’ai aimé lire des livres d’Histoire, mais jamais, jamais, je n’avais entendu parler de Jimenez de Quesada avant de faire connaissance avec une colombienne et de m’être par la suite intéressé à l’histoire de son pays.  

Alors que le Canada et la Colombie viennent de signer, en août 2011, un Accord de libre-échange et que le nombre de colombiens vivant au Québec augmente d’année en année, il serait bon je crois que nous puissions partager des informations sur nos histoires respectives, qui, au fond, ne sont pas si différentes si on prend le temps de les étudier avec un peu plus d’attention. Ce que je me propose de faire en commençant par me documenter davantage sur l’histoire de la Nouvelle-Grenade avant de tenter une comparaison avec l’histoire de la Nouvelle-France. 


Pour me documenter sur l’histoire de la conquête de la Colombie, étant donné qu’il n’y a pour ainsi dire pas de possibilité de trouver des livres sur le sujet en français, je me rends sur le site de la bibliothèque virtuelle de la Biblioteca Luis Angel Arango de Bogota. Plusieurs ouvrages y sont disponibles en lecture libre, entre autres le tome 1 de l’Historia de Colombia, de Jorge Orlando Melo : El establecimiento de la dominacion espanola (Voir ici) qui est considéré comme ce qui s’est fait de mieux sur le sujet, et, un autre incontournable : Descubrimiento del nuevo reino de Granada y fundacion de Bogota (1536-1539), de Juan Friede (Voir ici).  

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(1) Tirée de L’Envers de l’Eldorado, économie coloniale et travail indigène de la Colombie du XVIe siècle, un ouvrage de Thomas Gomez publié en 1984 par l’Association des publications de l’Université Toulouse-Le Mirail.