jeudi 15 mars 2012

Participation aux Impromptus Littéraires : À partir de deux vers de la Chanson du mal aimé de Guillaume Apollinaire


Thème de la semaine sur le site des Impromptus Littéraires (lien pour le site ici) : Nous vous demandons d'emboîter le pas à Guillaume Apollinaire. Que votre texte soit rédigé en prose ou en vers, son incipit doit obligatoirement être "Je suivis ce mauvais garçon qui sifflotait mains dans les poches", deux des vers du célèbre poème "La chanson du mal-aimé".



"Je suivis ce mauvais garçon qui sifflotait, mains dans les poches" sans douter une seule seconde que j’allais me mettre dans le pétrin. Ma dernière rencontre avec Annie m’avais laissé dans un tel état que j’étais prêt à tout risquer afin d’oublier le mal qui me brûlait l’intérieur.    
Ce jeune voyou m’est apparu sympathique dès le premier regard que j’ai porté sur lui dans la section du marché où je savais que se tenaient les fournisseurs des différents produits et services qui pouvaient me permettre d’échapper pendant quelques heures à la triste réalité de ma vie. 
Après avoir parcouru quelques centaines de mètres dans le dédale de ruelles du plus malfamé des quartiers de la ville, nous sommes entrés dans un immeuble plus décrépi encore que les autres et nous avons monté des escaliers jusque devant une porte. Là, il m’a souri et m’a invité à passer devant lui en me prenant par les épaules, comme s’il était mon ami. Cela m’aurait plu d’être son ami même si je savais que ce n’était pas possible. 
Il a poussé la porte et je me suis avancé dans un obscur corridor percé de portes fermées. J’ai pointé la première du doigt pour lui demander si c’était celle-là. Il a fait non de la tête et m’a indiqué du menton qu’il fallait que j’aille plus loin. Devant la troisième et dernière, il a acquiescé et m’a fait signe d’entrer. À l’intérieur, à la lueur d’une fenêtre mal camouflée, il y avait une fille toute nue étendue sur un matelas placé par terre. Elle avait les jambes écartées et, au delà de son opulente poitrine, j’ai pu distinguer la sanglante balafre qui lui séparait presque la tête du corps. Horrifié, je me suis précipité vers le corridor pour avertir mon passeur. Je l’ai trouvé à genoux contre le mur. Un gros barbu le tenait par les cheveux d’une main pendant que de l’autre il était en train de lui trancher la gorge avec un long couteau. Le temps d’un instant, j’ai pu échanger un dernier regard de sympathie avec mon guide, comme si cela pouvait lui être d’un quelconque réconfort, avant de lui tourner le dos pour courir dans l’autre direction dès que j’ai vu ses yeux se révulser. Mais il n’y avait pas d’autre issu. Le corridor aboutissait sur une toilette commune ornée d’une minuscule lucarne. J’ai alors voulu revenir sur mes pas pour retourner dans la pièce où j’avais trouvé le corps de la fille et peut-être être capable de sortir par la fenêtre que j’avais entre perçue, mais le gros barbu me bloquait le passage, le couteau à la main et la mine assassine. Que pouvais-je lui dire pour l’amadouer ?

mercredi 14 mars 2012

Autour d'une lecture de Abril Rojo de Santiago Roncagliolo


Avec Abril Rojo de Santiago Roncagliolo, un roman policier péruvien disponible en français sous le titre Avril Rouge, je poursuis ma résolution de lire des romans en espagnol. 
Après avoir lu El Ruido de las Cosas al Caer de l’écrivain colombien Juan Gabriel Vasquez, qui a gagné le prestigieux prix Alfaguarra du meilleur roman de l’année 2011, j’ai visité le site de cette maison d’édition afin de voir quels étaient les gagnants des autres années. J’ai ainsi pu lire les premières pages de quelques uns d’entre eux et je me suis ainsi rendu compte que l’action de Abril Rojo, gagnant du prix Alfaguarra 2006, se passe à Ayacucho au Pérou. 
Ce nom m’intriguait depuis longtemps, car il y a une avenue importante de Medellin, ville d’origine de ma conjointe, qui se nomme ainsi. Il doit d’ailleurs aussi y avoir des rues qui se nomment ainsi dans toute l’Amérique du Sud, car Ayacucho a été le site, en 1824, d’une très importante bataille de la guerre qui scella le sort de la domination espagnole en Amérique du sud. Comme nous empruntons souvent cette avenue quand nous séjournons là-bas, je m’amuse beaucoup à prononcer ce mot très sonore en le séparant en deux : Aya Cucho, et cela soulève toujours de fortes réactions. On m’a expliqué qu’à Medellin, la cucha est le terme utilisé par les sicarios pour nommer leur mère. Les sicarios sont souvent des adolescents utilisés comme tueurs à gage par les différentes bandes criminelles de la ville. Ces jeunes étant pour la plupart élevés par leur mère, en absence du père, ils vouent un culte pour celle-ci. La ville regorge d’histoires de jeunes qui ont commis des meurtres afin de pouvoir acheter des électro-ménagers à leur «cucha». Il y a même à Medellin une Vierge des sicarios (une statue) auprès de laquelle les jeunes tueurs vont prier afin qu'elle les aide à réussir leur prochain assassinat. L’écrivain colombien Fernando Vallejo a d’ailleurs écrit un roman portant ce titre et le cinéaste Barbet Schroeder en a fait un film (bande annonce ici).
Si cucha signifie la «vieille» à Medellin, j’en ai déduit que le «vieux» s’appelle donc cucho et je me suis donc souvent amusé à nous nommer ainsi ma conjointe et moi, soulevant ainsi bien des rires chez mes interlocuteurs medellinois. D’après ce que j’ai compris, c’est une expression qui est connue de tous, mais qui a une trop forte connotation populaire.       
En fait, Ayacucho est un mot d’origine quechua, la langue des incas qui encore parlé en Équateur, au Pérou et en Bolivie par plus de 10 millions de personnes. Plusieurs significations du mot sont discutées, mais la plus répandue sembleraient vouloir dire qu’il s’agit d’un lieu où il y a des morts. Ce qui est fort à propos pour un roman policier dans lequel il y a justement beaucoup de morts. 
Toujours est il que j’ai terminé ma lecture de Abril Rojo. C’est très intéressant, car cela nous parle d’une région et d’un conflit qui sont très peu connus ici : la guerre de guérilla menée par le Sentier Lumineux dans les années 1980 et 1990. Une guerre qui s’est nourri du conflit, toujours latent, qui oppose les métis péruviens, héritiers des conquérants espagnols, et les «indios» de la Sierra. 
Le personnage principal, le fiscal distrital adjunto Félix Chacaltana Saldivar, est un petit fonctionnaire zélé qui ne veut qu’une chose : bien faire son travail. Aussi, quand il apprend la découverte d’un corps calciné, et sans doute torturé, dans un petit village voisin nommé Quinua, (où se trouve d'ailleurs le site exact du champ de bataille de Ayacucho) il veut faire en sorte que le dossier soit en règle et que tous les rapports exigés par la loi y soient inclus, sauf qu’il se heurte à une fin de recevoir de la part des policiers et du détachement militaire qui est responsable de la zone. Tout le monde se renvoie la balle et voudrait que le cas soit classé comme un accident d'ordre domestique. Il mène donc sa propre enquête. Nous sommes en 2000 et, officiellement, la guerre est terminée. Les festivités de la Semaine Sainte sont commencées et il est très important pour les autorités que tout se déroule bien car les touristes sont en train d’effectuer un retour dans la ville après des décennies d’absence. Chacaltana dérange donc tout le monde.  
Cependant, notre petit fonctionnaire n’en démord pas : il lui faut ses rapports, quitte à accepter qu’ils soient totalement faux, s’il veut que les officiers responsables les signent. Le problème, c’est que les découvertes de corps torturés s’additionnent de jour en jour et ils ont tendances à tous être des personnes à qui il a parlé au cours de son enquête. L’étau se resserre donc autour de lui jusqu’au jour où il doit faire face au responsable de tous ces crimes qui le confronte à son propre passé, à cette mère, qui est morte il y a 20 ans et avec laquelle il continue de converser quotidiennement tout en entretenant soigneusement sa chambre comme une chapelle, et à ce père qu’il dit n’avoir jamais connu.     

jeudi 1 mars 2012

Participation aux Impromptus Littéraires : Une ile déserte


Elle est où la toilette ? Telle fut ma première pensée à me passer par la tête quand je me suis réveillé ce matin là. Cela pressait, car j’avais une telle envie qu’aucun délai n’était possible. Encore chanceux que je ne l’avais pas fait en dormant, car je venais tout juste de rêver que j’étais en train de pisser. 
Dans ce rêve, j’étais avec Anabella, la femme de mon ami Pablo. Avec tout ce que nous avions bu depuis mon arrivée, nous étions plutôt pompettes et je n’ai pas été surpris outre mesure quand, après lui avoir demandé où étaient les WC, elle m’a pris par la main pour me conduire sous le pont du nouveau yacht de Pablo. Un coup rendus, alors que j’avais déjà levé le siège et que je m’apprêtais à faire ce que j’avais envie de faire,   àelle est restée devant moi au lieu de se retirer et de refermer la porte derrière elle. C’est fou ce que ça peut être jouissif quand une belle femme vous regarde en plein dans les yeux pendant que vous vous libérez d’un si intense besoin...
Est-ce que j’avais rêvé ou si je rêvais que j’avais rêvé ? Ce n’était pas clair. Cependant,  en levant légèrement la tête de ma couche, j’ai pu constater que le décor semblait bien ressembler aux Caraïbes, là où Pablo m’avait invité à venir le rejoindre pour passer le long week-end de Pâques, sauf que le sable qui m’entourait ne me donnait pas du tout l’impression d’être en haute mer. Étions-nous retournés à San Andres ? Devant moi, le vent agitait la tête des cocotiers, mais je ne me rappelais pas le moment où j’avais débarqué du bateau ni comment je m’étais fait la grosse bosse que j’avais derrière la tête. 
Quoiqu’il en soit, j’avais plus pressé à faire que de me questionner sur mon passé, même récent. L’urgence du besoin présent me fit quitter la couverture dans laquelle j’étais enveloppé. Je me suis alors rendu compte que j’étais flambant nu. Chancelant, j’ai examiné les alentours pour m’apercevoir que j’étais sur un ilot sablonneux entouré d’eau à perte de vue. La cabane dans laquelle je m’étais réveillé était formée de trois murs de branchages entrelacés surmontés d’un toit de paille. Un bosquet de cocotiers l’entourait. L’un d’eux a immédiatement retenu mon attention, car il y avait un couteau de planté sur son tronc en plein milieu d’une feuille de papier. Curieux, je me suis dirigé vers lui avec l’intention de me soulager sur le tronc par la même occasion. Mais le sable était tellement chaud que j’ai dû m’arrêter en chemin pour calmer la douleur et en me penchant pour masser le dessous de l’un de mes pieds, mon nez n’a pas pu éviter de renifler la forte odeur de sexe qui se dégageait de mon bas-ventre. Tout m’est alors revenu à l’esprit. 
Le vent agitait la feuille qui était plantée sur l’arbre. Même si j’étais trop loin pour être capable de la lire, je savais ce qui était écrit dessus. Chose certaine, j’étais chanceux d’être encore en vie. 
C’est ce que j’ai continué à me dire en sentant tout ce qu’il y avait de vivant en moi pendant que je pissais aux quatre vents...