mercredi 14 mars 2012

Autour d'une lecture de Abril Rojo de Santiago Roncagliolo


Avec Abril Rojo de Santiago Roncagliolo, un roman policier péruvien disponible en français sous le titre Avril Rouge, je poursuis ma résolution de lire des romans en espagnol. 
Après avoir lu El Ruido de las Cosas al Caer de l’écrivain colombien Juan Gabriel Vasquez, qui a gagné le prestigieux prix Alfaguarra du meilleur roman de l’année 2011, j’ai visité le site de cette maison d’édition afin de voir quels étaient les gagnants des autres années. J’ai ainsi pu lire les premières pages de quelques uns d’entre eux et je me suis ainsi rendu compte que l’action de Abril Rojo, gagnant du prix Alfaguarra 2006, se passe à Ayacucho au Pérou. 
Ce nom m’intriguait depuis longtemps, car il y a une avenue importante de Medellin, ville d’origine de ma conjointe, qui se nomme ainsi. Il doit d’ailleurs aussi y avoir des rues qui se nomment ainsi dans toute l’Amérique du Sud, car Ayacucho a été le site, en 1824, d’une très importante bataille de la guerre qui scella le sort de la domination espagnole en Amérique du sud. Comme nous empruntons souvent cette avenue quand nous séjournons là-bas, je m’amuse beaucoup à prononcer ce mot très sonore en le séparant en deux : Aya Cucho, et cela soulève toujours de fortes réactions. On m’a expliqué qu’à Medellin, la cucha est le terme utilisé par les sicarios pour nommer leur mère. Les sicarios sont souvent des adolescents utilisés comme tueurs à gage par les différentes bandes criminelles de la ville. Ces jeunes étant pour la plupart élevés par leur mère, en absence du père, ils vouent un culte pour celle-ci. La ville regorge d’histoires de jeunes qui ont commis des meurtres afin de pouvoir acheter des électro-ménagers à leur «cucha». Il y a même à Medellin une Vierge des sicarios (une statue) auprès de laquelle les jeunes tueurs vont prier afin qu'elle les aide à réussir leur prochain assassinat. L’écrivain colombien Fernando Vallejo a d’ailleurs écrit un roman portant ce titre et le cinéaste Barbet Schroeder en a fait un film (bande annonce ici).
Si cucha signifie la «vieille» à Medellin, j’en ai déduit que le «vieux» s’appelle donc cucho et je me suis donc souvent amusé à nous nommer ainsi ma conjointe et moi, soulevant ainsi bien des rires chez mes interlocuteurs medellinois. D’après ce que j’ai compris, c’est une expression qui est connue de tous, mais qui a une trop forte connotation populaire.       
En fait, Ayacucho est un mot d’origine quechua, la langue des incas qui encore parlé en Équateur, au Pérou et en Bolivie par plus de 10 millions de personnes. Plusieurs significations du mot sont discutées, mais la plus répandue sembleraient vouloir dire qu’il s’agit d’un lieu où il y a des morts. Ce qui est fort à propos pour un roman policier dans lequel il y a justement beaucoup de morts. 
Toujours est il que j’ai terminé ma lecture de Abril Rojo. C’est très intéressant, car cela nous parle d’une région et d’un conflit qui sont très peu connus ici : la guerre de guérilla menée par le Sentier Lumineux dans les années 1980 et 1990. Une guerre qui s’est nourri du conflit, toujours latent, qui oppose les métis péruviens, héritiers des conquérants espagnols, et les «indios» de la Sierra. 
Le personnage principal, le fiscal distrital adjunto Félix Chacaltana Saldivar, est un petit fonctionnaire zélé qui ne veut qu’une chose : bien faire son travail. Aussi, quand il apprend la découverte d’un corps calciné, et sans doute torturé, dans un petit village voisin nommé Quinua, (où se trouve d'ailleurs le site exact du champ de bataille de Ayacucho) il veut faire en sorte que le dossier soit en règle et que tous les rapports exigés par la loi y soient inclus, sauf qu’il se heurte à une fin de recevoir de la part des policiers et du détachement militaire qui est responsable de la zone. Tout le monde se renvoie la balle et voudrait que le cas soit classé comme un accident d'ordre domestique. Il mène donc sa propre enquête. Nous sommes en 2000 et, officiellement, la guerre est terminée. Les festivités de la Semaine Sainte sont commencées et il est très important pour les autorités que tout se déroule bien car les touristes sont en train d’effectuer un retour dans la ville après des décennies d’absence. Chacaltana dérange donc tout le monde.  
Cependant, notre petit fonctionnaire n’en démord pas : il lui faut ses rapports, quitte à accepter qu’ils soient totalement faux, s’il veut que les officiers responsables les signent. Le problème, c’est que les découvertes de corps torturés s’additionnent de jour en jour et ils ont tendances à tous être des personnes à qui il a parlé au cours de son enquête. L’étau se resserre donc autour de lui jusqu’au jour où il doit faire face au responsable de tous ces crimes qui le confronte à son propre passé, à cette mère, qui est morte il y a 20 ans et avec laquelle il continue de converser quotidiennement tout en entretenant soigneusement sa chambre comme une chapelle, et à ce père qu’il dit n’avoir jamais connu.     

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