mercredi 10 avril 2013

La surpêche des chalutiers chinois et la conquête de l'Amérique par les Espagnols




En lisant cette semaine un article (voir ici) sur la scandaleuse surpêche pratiquée par des chalutiers géants qui vident le fond des mers dans les eaux internationales, j’ai immédiatement fait un parallèle entre ces agissements qui détruisent inconsidérément les ressources de la planète dans le but de réaliser des profits à court terme et le comportement tout aussi inconsidéré des Espagnols lorsqu’ils s’établirent en Amérique au début du 16e siècle. 



Sans vouloir m’inscrire dans la controverse sur le nombre d’êtres humains qui habitaient ce continent avant l’arrivée de Colomb en 1492 et ce qui en restait un siècle plus tard, il n’en demeure pas moins que tout le monde est d’accord pour reconnaître la stupéfiante rapidité avec laquelle s’est réduite cette population.  

Ainsi, les deux ou trois millions d’habitants de la première ile des Antilles que les Espagnols ont colonisée, La Espanola (l’ile de Saint-Domingue où se trouvent maintenant Haïti et la République dominicaine), avaient quasiment disparus vingt-cinq ans plus tard (il ne restait que 60,000 adultes mâles en 1509, 11,000 en 1518, et moins de 500 l’année suivante après une épidémie de variole). Cette disparition a engendré une pénurie de main-d’oeuvre qui a poussé les conquérants à se lancer dans une chasse aux esclaves sur les autres îles des Caraïbes ainsi que sur les côtes de la «Tierra Firme» (Venezuela, Colombie et les pays de l’actuelle Amérique Centrale). Comme ceux-ci mourraient tout aussi rapidement, ils se sont alors tournés vers le tout aussi odieux trafic des esclaves africains.

Dans l’ancien empire Aztèque au centre du Mexique, des 25 millions d’habitants qui y vivaient en 1518 avant l’arrivée des Espagnols, il n’en restait plus que 700,000 en 1623.


«Qui parmi les générations futures croira cela ? Moi-même, qui écris ces lignes, qui l’ai vu de mes yeux et qui n’en ignore rien, je peux difficilement croire qu’une telle chose ait été possible.» 


Ces lignes, ont été écrites par Bartolomé de las Casas, l’un des plus célèbres militants de la protection des indigènes des Amériques qui fait la preuve que tous les Espagnols n’étaient pas insensibles devant ce qui se passait. Très tôt, des hommes courageux, comme Antonio de Montesinos en 1511, ont dénoncé à leurs risques et périls le scandaleux génocide qui se déroulait sous leurs yeux. À ce propos, le magnifique film Even the rain, reprend cette histoire en dressant un parallèle entre la situation actuelle en Bolivie et ce qui arriva à Saint-Domingue à la fin du 15e siècle. 





Montesinos, un dominicain, est l’un des personnages de la reconstitution historique qui constitue l’une des trames de ce film. Il est célèbre pour le sermon qu’il adressa à ses ouailles, des propriétaires terriens de Santo Domingo en 1511 :


«Dites-moi de quel droit et en vertu de quelle justice vous tenez ces Indiens sous une si terrible et cruelle servitude. En vertu de quelle autorité avez-vous fait d’aussi détestables guerres à ces hommes qui vivaient tranquilles et pacifiques chez eux où vous êtes venus les détruire massivement en leur infligeant une mort et des destructions inouïes ? Comment osez-vous les tenir dans un tel asservissement, épuisés, sans nourriture, sans soigner les maladies qu’ils contractent à cause du travail excessif auquel vous les soumettez et dont ils meurent ou plus exactement ils sont assassinés par vos soins pour vous permettre d’extraire et d’amasser toujours plus d’or ?»



Certains sont prêts accorder une quasi-absolution aux conquistadors sous prétexte qu’ils n’auraient pas volontairement introduit les microbes qui ont causé les épidémies responsables d’une grande partie de cette mortalité. D’accord, sauf que même si les maladies se sont parfois répandues avant même l’arrivée des Espagnols, comme au Pérou par exemple, d’autres facteurs dont les conquérants, et surtout le système financier qui leur permettait d’entreprendre leurs expéditions, étaient entièrement responsables ont contribué à affaiblir ces sociétés et à les rendre encore plus inaptes à se défendre contre les maladies. Et ces facteurs sont directement liés aux impératifs de rentabilité qui animaient les opérations de conquêtes. 

Nous avons tous appris que les Européens avaient entrepris d’explorer l’Atlantique parce que les circuits commerciaux qui depuis des siècles approvisionnaient l’Europe en épices et soieries avaient été coupés par les Turcs après la prise de  Constantinople en 1453. La recherche d’un autre chemin pour atteindre l’Asie aurait ainsi amené Christophe Colomb à découvrir l’Amérique, et en croyant qu’il s’y trouvait à nommer «indiens» les gens qui y vivaient. Erreur qui s’est perpétuée jusqu’à nos jours et qui continue de poser problème, car faute d’un nom propre pour ce continent, comment faudrait-il les appeler, le terme «Amérindien» n’étant pas plus approprié ?

Là où je veux en venir avec ma comparaison entre la surpêche et l’extermination des peuples qui habitaient l’Amérique, c’est que les expéditions de découvertes espagnoles, portugaises, anglaises ou françaises étaient presque toutes financées en partie ou totalement par des commerçants et banquiers italiens. Les royautés au nom de qui les nouvelles terres découvertes étaient revendiquées n’avaient en réalité de grandeur que dans leurs titres. Aucune n’avait les moyens de soutenir de telles expéditions, car à cette époque l’Europe sortait tout juste du Moyen-âge et les états nations commençaient à peine à se former. Envoyer une flotte de caravelles au-delà des océans équivalait presque à envoyer une fusée sur la Lune. La dette ainsi due imposait des impératifs de rentabilité qui avaient une énorme influence sur la conduite des explorateurs, les amenant à traiter les populations indigènes de façon inhumaine ou en niant même leur humanité. Le capitalisme était en train de naître et la découverte de l’Amérique a joué un rôle fondamental dans son développement, l’or et l’argent du Pérou et du Mexique constituant sa principale mise de fonds. Selon Michel Beaud dans son ouvrage, Histoire du capitalisme, «le fabuleux pillage de l’Amérique» fut la première étape du développement du capitalisme. 

Ce n’est pas un hasard si un grand nombre d’explorateurs étaient d’origine italienne que ce soit Cristoroforo Colombo, natif de Gênes ; Amerigo Vespucci, natif de Florence ; Giovanni da Verrazzano, également natif de Florence ; Giovanni Caboto, originaire de Gênes et qui est devenu John Cabot pour les anglophones. 

Voici un extrait d’un très intéressant ouvrage de Thomas Gomez, L’invention de l’Amérique, qui explique bien ce qui s’est passé : 

«En observant le déplacement de l’épicentre des mouvements commerciaux de la Méditerranée orientale vers l’Atlantique, on s’aperçoit que le rôle joué par les Génois fut considérable. Lorsque leurs colonies levantines commencèrent à décliner par suite des attaques turques, bon nombre de Génois partirent s’établir dans les grandes villes espagnoles et en particulier dans celles du Sud. Mais, fait essentiel pour la péninsule, ils n’arrivèrent pas les mains vides : ils apportaient des capitaux importants ainsi que des techniques financières et commerciales. Ils avaient également la maîtrise de l’art de  la navigation et une grande expérience de la colonisation... Quels que soient les promoteurs des grandes équipées d’exploration et de colonisation, on trouve très souvent à leur tête des Italiens qui mettent leur expérience, leur savoir-faire et leurs capitaux au service de monarques habités par le désir d’expansion économique... Sous quelle bannière que ce fut, il est clair que la contribution des Italiens aux voyages d’exploration et à la mise en place des premiers empires coloniaux de dimension mondiale s’avéra fondamentale.» (page 51)

Les Italiens ne sont plus depuis longtemps des acteurs importants du développement du capitalisme. Ils ont vite été écartés par les Flamands, les Anglais, les Américains qui, à leur tour, sont en train d’être dépassés par les Chinois. Mais c’est toujours la même chose qui se reproduit, et cela dans tous les secteurs de l’activité économique. Le développement des technologies permet, comme le montre l’article auquel je fais référence au début de ce texte, la construction de chalutiers géants qui joins à des navires-usines frigorifiques vident le fond des mers. Ce processus de destruction de la planète au nom de la recherche d’un profit à court terme est tout à fait identique au processus qui a entraîné la disparition de 90% de la population des continents américains lors de leur conquête, anéantissant des civilisations entières. 

En lisant l’histoire de la conquête de la Colombie, je découvre des descriptions sur les agissements des Espagnols qui montrent extraordinairement bien le processus de destruction dont ils furent les agents, la plupart du temps à leurs dépends. Je crois que cette histoire est un très intéressant objet d’étude, car étant le dernier grand territoire à être conquis après le Mexique et le Pérou, son invasion presque simultanée et presque systématique par trois armées partant de trois points différents est une excellente démonstration de la puissance de destruction du capitalisme, d’où est issue la Colombie d’aujourd’hui. 


Note : Comme cela fait 2 ans ce mois-ci que j'entretiens ce blog et que je n'ai jamais reçu un seul commentaire de la part de l'un de mes 1160 visiteurs, je me suis demandé s'il était possible qu'il y ait un problème. Après vérification, je me suis rendu compte que mon site était configuré de telle sorte que personne ne pouvait laisser de commentaire à part ses trois membres inscrits. J'ai donc changé cette option pour ouvrir les commentaires à tous, en espérant que cela ait un effet positif, car j'ai beau voir ce site comme un exercice d'écriture, presque un journal intime, cela me ferait quand même plaisir d'obtenir quelques réactions extérieures de temps en temps. 

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