lundi 29 avril 2013

La naissance d’un personnage de fiction


Depuis quelques mois, tout en poursuivant mes lectures sur l’histoire de la conquête de la Colombie et, pour ainsi dire "par la bande", sur l’histoire de la conquête du Nouveau-Monde par les Espagnols, je me demande quelle serait pour moi la meilleure façon d’utiliser tout ce bagage de connaissances. 

Au début, je pensais m’en servir pour écrire une histoire de la conquête de la Colombie, car j’ai pu constater que les ouvrages en français traitant de ce sujet sont d’une grande rareté. Même si je n’ai pas fait d’études en Histoire et que je ne suis pas reconnu comme historien, je crois que je pourrais écrire un livre qui se distinguerait par son approche. Je garde en effet l’espoir de trouver une façon de comparer ce qui s’est passé au Canada au début de la Nouvelle-France et ce qui s’est passé en Colombie lorsque les Espagnols ont commencé à s’y établir. Cela pourrait être un moyen de mieux comprendre pourquoi l’histoire de ce pays a toujours été si marquée par la violence.  

C’est en ayant cette problématique en tête que, je ne me rappelle plus par quel hasard ou par quelle suite d’idées, je me suis retrouvé à m’intéresser à l’histoire de la présence des chasseurs de baleines Basques dans le golfe Saint-Laurent au cours des premières décennies du 16e siècle, soit avant même la « découverte » du Canada par Jacques Cartier en 1534. 

Il est en effet maintenant reconnu que Jacques Cartier était loin d’être le premier à naviguer dans les eaux du golfe Saint-Laurent et probablement aussi dans le fleuve comme tel. Certes, l’explorateur malouin l’a exploré et cartographié et il a officiellement pris possession du territoire au nom de roi de France, mais tout au long de son journal il note à plusieurs reprises des rencontres avec des navires de pêcheurs de morue et de chasseurs de baleines qui sont la preuve même que cette région était déjà fréquentée bien avant son passage. De plus, le comportement des Iroquoiens qu’il a rencontré à la Baie-des-Chaleurs montre bien que ceux-ci avaient l’habitude de commercer avec des navires européens. Des documents notariaux témoignent que des pêcheurs de morue bretons, anglais, portugais, basques français et espagnols fréquentaient les eaux du golfe Saint-Laurent depuis le début des années 1500. Plusieurs historiens se risquent même à avancer l’hypothèse qu’ils auraient pu si rendre au cours de la dernière décennie du 15e siècle, peu après ou peut-être même avant que Christophe Colomb ne débarque dans les Antilles. Il reste cependant qu’il n’existe aucune preuve directe de ces voyages à part des allusions dans certains documents où par exemple l’on pouvait écrire qu’un tel ou un tel allait pêcher aux Terres Neuves depuis quinze ou vingt ans. Ce n’est qu’à partir du milieu du 16e siècle, avec l’augmentation du tonnage des navires et donc de leur valeur, que les pêcheurs commencèrent à prendre l’habitude d’assurer leurs navires et leurs cargaisons ou d’authentifier chez le notaire des accords entre partenaires financiers. Chose certaine, ces marins étaient techniquement capables de le faire. En effet, les navires et les équipages des expéditions de découvertes étaient souvent recrutés parmi les pêcheurs qui avaient déjà l’expérience des voyages sur l’Atlantique. D’ailleurs, la caravelle, le navire qui rendit possible ces expéditions, était tout autant utilisée par les pêcheurs que par les explorateurs. À l’époque, il n’y avait pas de différence entre un navire de pêche transatlantique, un navire d’exploration, un navire de commerce, ou même un navire de guerre ou de pirates. Il était courant aussi qu’un navire ayant servi à la pêche à la morue ou à la chasse à la baleine pendant quelques années soit ensuite vendu pour servir sur la route des Indes.

Quelle merveilleuse histoire pourrait être tirée de la vie d’un marin basque qui irait chasser la baleine ou pêcher la morue une année et qui, une autre année, se ferait engagé sur un navire qui se rendrait aux Indes occidentales (c’est ainsi que l’on nommait les possessions espagnoles des Caraïbes et des côtes environnantes avant que l’appellation Amérique ne se répande à partir du milieu du 16e siècle)! 

Sa participation, par exemple, à la conquête du Mexique, de 1519 à 1521, devant être écartée, car beaucoup trop précoce pour être vraisemblable, reste à voir si sa participation à l’aventure de Francisco Pizarro au Pérou, de 1531 à 1534, pourrait être chronologiquement possible, ou s’il serait plus prudent de plutôt l’embarquer sur un des navires qui accompagnaient l’expédition de Jimenez de Quesada sur le fleuve Magdalena en 1536. 

Sans être encore certain du nom de ce marin, je penche pour quelque chose d’aussi commun que Juan. Pour ce qui est de son patronyme, après avoir vu cette image sur un site internet consacré aux Basques, j’ai pensé qu’il pourrait s’appeler Juan de Zumarraga. 


Dans un livre de bâptemes de Zumárraga de 1526 figure le dessin d'une chaloupe avec cinq rameurs, le patron à la barre et un harponneur, avec une baleine capturée

Dans un livre de baptêmes de Zumarraga de 1526 figure le dessin d'une chaloupe et une baleine capturée.





Ce nom illustre très bien ce que j’attends de mon personnage, car le lien que crée cette image qui représente une activité de pêche associée aux Basques avec la conquête du Nouveau-Monde par les Espagnols est très fort. En effet, je ne m’en suis rendu compte après l’avoir inventé, Juan de Zumarraga est aussi le nom du premier évêque de Mexico (nommé en 1528). Il était natif d’une ville située à une quarantaine de kilomètres de Zumarraga. Ensuite, Miguel Lopez de Legazpi, le fondateur, en 1571, de Manille aux Philippines était originaire de... Legazpi, située à quelques kilomètres de Zumarraga. La quantité de conquistadors natifs du pays basques est d’ailleurs impressionnante, ce qui démontre bien que le pays basque «was the nursery of spanish seamen, wich supplied most of the man power on the american run» (Amerikanuak: Basques in the New World).




Cependant, même si le contexte dans lequel le personnage de Juan de Zumarraga évoluerait m’apparait original et intéressant, je ne crois pas qu’il puisse m’être utile pour illustrer les différences entre ce qui s’est passé au Canada au début de la Nouvelle-France et ce qui s’est passé au début de la Colombie. Ce qui fait que, en date d’aujourd’hui, je ne sais pas encore si je vais me lancer dans cette aventure. Donc, même si je peux revendiquer la conception du personnage de Juan, il n'est pas impossible que cela se termine par un avortement.   




Post Scriptum (30 avril 2013)

La possibilité d'un avortement du personnage de Juan de Zumarraga, que je mentionne à la toute fin du texte que j'ai mis en ligne hier, n'a pas été longue à se manifester. En effet, dans les heures qui ont suivi la mise en ligne de ce texte, j'ai trouvé sur internet le site d'une écrivaine américaine d'origine basque, Christine Echeverria Bender, qui est l'auteure de trois romans dont les personnages principaux sont de jeunes marins basques. Le troisième de ces romans, The Whaler's forge, publié en 2009, raconte l'arrivée en 1364 d'un navire de chasseurs de baleines sur les côtes de l'Amérique du Nord. Au moment d'entreprendre son voyage de retour, un des membres de son équipage, Kepa de Mendieta, est laissé à terre par accident. Le roman raconte ses efforts pour survivre alors que l'hiver s'annonce. 


(Cliquez sur l'image pour lire le premier chapitre)

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Ses deux précédents romans avaient des thèmes semblables. Le premier, Challenge de Wind, publié en 2000, raconte les aventures de Domingo Laca, un jeune basque né dans une famille de chasseurs de baleines qui, en 1492, s'engage comme matelot sur la Santa Maria de Christophe Colomb. 


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Le deuxième, Sails of fortune, publié en 2005, raconte le voyage autour du monde (de 1519 à 1521) de Juan Sebastian Elkano, le marin basque qui commandait la Victoria, le seul des navires de Fernand de Magellan qui revint en Espagne avec les 18 survivants des 234 membres de l'expédition.  


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De plus madame Echeverria a un quatrième ouvrage en chantier. Il s'agirait d'un roman racontant le voyage de Juan Rodriguez Cabrilho qui explora la côte ouest-américaine en 1542. 


Conclusion : Après avoir feuilleté les premières pages de Whaler's forge et de Challenge de wind, sans cependant vouloir porter de jugement sur la qualité de son écriture, je crois que par ses origines basques elle a un bagage culturel qui me fait cruellement défaut pour écrire ce genre d'histoires. Ainsi, j'ai pu lire dans les premières pages de Whaler's forge, que son héros jouait du "txistu", une flûte traditionnelle basque. Dans les premières pages de Challenge de wind, j'ai pu aussi lire des lignes sur des rites préchrétiens. Par contre, le fait qu'elle est mis des arquebuses dans les mains de ses personnages dans Whaler's forge, un roman qui se passe en 1364 est une grosse erreur chronologique ces armes n'étant apparues que plus d'un siècle plus tard. 

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